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Rêves envolés

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

Je rêvais d’avoir une famille. Je rêvais d’aller bien, d’être aimé, choyé, d’être en sécurité. Je rêvais de rire et de chanter avec une mère, un père, des adelphes, des gens que j’aimerais et qui m’aimeraient, des gens qui auraient par hasard le même sang que moi. Mais mon sang, mon sang, il a bien assez coulé pour que je sois sûr de n’avoir le même que personne. Alors non, je ne suis pas vraiment un “orphelin”, dans le sens où mes géniteurices sont actuellement en vie, aux dernières nouvelles. Je ne suis pas vraiment “enfant unique”, bien qu’unique et enfant, dans le sens où deux humains sont nés des mêmes entrailles que moi, et sont, aux dernières nouvelles encore une fois, en vie. Mais j’ai grandi seul, enfant seul, parce que les deux grands étaient déjà grands, j’ai des réflexes d’enfant unique. J’ai grandi sans père, parce que celui que je croyais être mon papa n’était en fait qu’un géniteur, un connard, un manipulateur, et bien d’autres choses. J’ai grandi sans maman, parce que je n’ai jamais pu voir ce lien de tendresse que je donne à ce mot, jamais pu l’appliquer à celle qui m’a enfanté. Oui, je sais, y a pire. Oui, je sais, y en a qui aimeraient connaître leur père ou leur mère, ou ont perdu un parent, ou deux, ou plus. Oui, je sais. Mais parfois je crois qu’il est quand même préférable de ne pas avoir de parents, plutôt que des parents... je ne dirai pas les mots qui me viennent. Je ne parle pas de moi, parce que si les choses s’étaient passées autrement je serais sûrement différent. Je rêvais d’avoir une famille, des gens qui s’aiment, pour qui tout s’arrange, entre qui tout va bien à la fin. Je rêvais d’avoir une famille, d’être entouré, je rêvais d’une vie à la Disney. Je me suis construit un monde de couleurs, de magie, un monde irréel et fantastique, un monde dans lequel “famille” était synonyme de joie, de confort, d’amour. Où la famille, c’était être ensemble. Et, sans cesse, le “vrai” monde télescopait cet idéal, cette idée. Ecrasait mes espoirs, ma naïveté. Et moi, et moi. Moi, j’ai persisté, j’ai essayé, encore et encore, d’y croire. Je suis parti, oui, tant de fois. Mais je suis revenu. Revenu, encore et encore. En cherchant la sensation de rentrer à la maison. Sans la trouver. Avant, j’avais une maison. Avant, j’avais une chambre, avec un lit et un bureau, même une armoire et une fenêtre, à un moment. Avant, j’avais un jardin et un prunier, j’avais un mur et une cheminée, j’avais un garage et la haie du fond, j’avais le terrain des maraîchers et la forêt derrière le lac miniature, que je ne peux me résoudre à nommer “étang” puisqu’étang il y avait déjà, un peu plus loin. Avant, j’avais un collège, un vélo, un pantalon et un pull, de longs cheveux blonds et un sourire triste. Avant, j’avais une ville, petite, que j’aurais pu parcourir les yeux fermés. Je l’ai fait plein de fois, j’ouvrais les yeux quand j’entendais du bruit, comme une voiture ou un humain qui marche. Avant, je me réveillais le matin, et je me levais le matin. Avant, je courais, je sautais, je grimpais, je chantais, je criais, je m’inventais des ami-es dans ces gens à qui je n’osais pas adresser la parole. Avant, j’avais des parents, des frères. Avant, j’avais une maison et des parents séparés, avant j’avais un an d’avance, j’avais “sauté une classe”. Depuis, j’en ai sauté deux, mais pas dans le même sens. Avant, j’avais “tondeur de brebis” ou “cuisinier” dans la case “profession du père”, et quelque chose comme “je sais pas trop” ou “prof” dans la case “profession de la mère, j’avais deux noms à mettre dans la case “frères et soeurs”, mais un jour j’ai hésité à en mettre un troisième. Oui, je sais, c’est ridicule, il est mort, je l’ai jamais connu, il était mort-né, je sais même pas en quelle année, mais plein d’années avant que je commence à exister. Mais peut-être que lui se serait comporté en grand frère. Peut-être que lui aurait vraiment existé à mes yeux, vraiment existé pour moi. Peut-être que, lui aussi, il aurait été queer, peut-être qu’il aurait été elle ou iel ou quelque chose d’autre, peut-être que j’aurais été moins seul. Peut-être. Peut-être aussi que tout aurait été pire, je sais pas. Mais, un jour, j’ai voulu cocher la case “trois”. Je crois que je ne l’ai pas fait. Parce que j’ai eu peur de devoir expliquer qu’un humain que je n’avais jamais connu me manquait. Qu’un humain qui n’avait pas vraiment commencé à exister me manquait. Que la douleur de ma génitrice ce jour-là, je la sentais, en pas pareil, en plus lointaine, en à-côté, pas en-dedans. Que j’avais mal d’avoir perdu quelqu’un que je n’avais jamais vu, que personne n’avait jamais entendu, dont personne n’avait senti la chaleur, parce qu’il était déjà froid quand il est arrivé. Je rêvais d’avoir une famille, et lui n’était pas là. Toi, le frère que je n’ai jamais eu, sais-tu, si tu avais vécu, ce que nous aurions fait ensemble ? Mais, si tu avais vécu, peut-être que moi non. Peut-être que “maman” n’aurait jamais rencontré “papa”, peut-être qu’elle serait morte, ou toujours avec ton père, ou qu’elle n’aurait pas voulu encore un autre enfant. Peut-être qu’elle aurait été plus riche, ou plus pauvre, qu’elle m’aurait fait adopter ou m’aurait confié à des nounous. Peut-être, peut-être. Je rêvais d’avoir une famille, et plus je grnadissais plus je voyais que “ma famille” ne ressemblait ni à une famille, ni à un truc à moi. Parce que j’avais pas ma place dedans, j’ai jamais eu ma place. Parce que tout était cassé, dedans. Dans leurs liens, et dans moi. Tout était cassé, et se cassait encore et encore, toujours plus. A l’encre de mes yeux, l’encre transparente et salée qui fait mal aux joues quand elle sèche. Dans une famille, il doit faire chaud, mais chaud-confort, pas chaud-brûlermoncoeur. Il doit faire chaud, pas glacial-puis-colère. Dans une famille, il doit y avoir de la douceur quelque part, pas de la rancoeur partout. Il doit avoir quelque chose de léger pour réunir, pas de lourd pour détruire, pour séparer un être de lui-même. Dans cette famille, il y avait l’absence, surtout. L’absence d’un père, à trop de kilomètres, l’absence de toute sa famille, de sa maison, de ses ami-es, de sa cuisine. L’absence d’amour, même aujourd’hui je reste pantois en entendant que des gens peuvent s’aimer en famille. L’absence des cousin-es, qui n’étaient pourtant pas bien loin, mais jamais là. L’absence de vie, parce que la religion prenait tout. L’absence de fêtes, parce que c’était mal, c’était païen, et on pouvait se faire des fêtes entre nous sans déplaire à leur dieu. Des fêtes entre nous, ça voulait dire un pique-nique par an et des mariages. Un mariage, c’était le moment où j’avais le droit de courir, de sauter, de crier, de chanter parce que la musique chantait plus fort que moi puisque je courais on m’entendait pas ou pas assez, j’avais le droit, j’avais le droit d’exister enfin, parce que, quand même, c’était la fête. Même si, le soir, j’avais vite envie de dormir, je continuais, je sortais tout, tout, tout moi, pour être à nouveau capable de pas être moi après pendant longtemps, parce qu’on ne sait jamais quand sera le prochain mariage. Les mariages, il fallait y aller dans une tenue pas chouette pour courir, mais je courais quand même. Une tenue pas faite pour se rouler par terre et escalader, mais je le faisais quand même. Après y avait la machine, mai j’avais le droit, c’était la fête. Pas besoin de bien se tenir à table, puisque plein de gens se levaient et bougeaient, pas besoin de manger des trucs pas bons, parce qu’il y avait plein de bon, plein de joli, plein de coloré, même si les dragées c’est meilleur à regarder. Parce que personne ne regardait si je mangeais comme il fallait, parce qu’il y avait les lumières et quelqu’un au micro. Parce que, pour elleux, je n’existais pas, et que je pouvais enfin exister pour moi. Mais, un mariage, avant de pouvoir exister, c’est toute une journée épuisante, avec des gens, des mairies, des discours, des inconnu-es partout. Comme ça fait peur, on court. Comme c’est long, on bâille. Comme on sait qu’après on pourra envoyer des vagues d’existence malgré la chaleur des joues, on serre les dents, on cure les ongles, on n’écoute pas mais quand même juste assez pour être capable de répondre si on te pose une question sur ce qui a été dit, oui oui je sais quel verset a été cité j’écoutais bien je suis sage. J’aimais bien les mariages, même si c’était bizarre de voir des gens s’embrasser, toute façon moi je regardais ailleurs comme à l’enterrement de cette grand-mère, tu sais, la mère de ma mère, cette grand-mère en statue de cire posée sur son lit, qui ressemblait exactement à elle vivante parce qu’elle était déjà un masque de cire avant de mourir parce qu’elle était malheureuse avec son mari et qu’elle avait joué avec le feu tu vois faut pas jouer avec le feu sinon on se brûle et on a la peau toute cireuse, pose cette allumette. Cette grand-mère à qui comparer “maman” n’est pas un compliment, parce que si son visage est cireux à cause de toutes les crèmes qu’elle met faut pas le dire parce que ça voudrait dire qu’elle est vieille, mais ça ça va on peut le dire parce que les deux grands le disent, mais pas lui dire que sa peau fait de la cire comme sa mère parce que, parce que, parce que je sais pas mais faut pas le dire. L’absence, en famille. L’absence, de moi surtout. Parce que je n’avais pas le droit d’exister, parce que j’étais trop moi. Et moi, aujourd’hui, je n’arrive plus à être moi. Parce que, si je crie, je fais mal aux oreilles des gens, et si leur musique me fait mal au ventre je dois me taire. Parce que, si je cours, on peut me regarder, et si je suis seul, on me voit, moi, seul. Parce que, si je grimpe, peut-être qu’il n’y a pas le droit, parce que ça pourrait abîmer des choses. Parce que, si je chante, c’est trop ou pas assez, c’est jamais comme il faut. Parce qu’il faut faire attention. Attention. Tellement attention, que j’écrase mon existence pour survivre à l’existence. Tellement attention, que j’ai de la peine de ne plus être capable de faire. Parce que j’ai trop bien appris ma leçon. Je rêvais d’avoir une famille, je rêvais de ma famille. Mais je suis ni cis, ni alliste, ni hétéro, ni neuroT en général. Je suis queer, autiste, dépressif, suicidaire, j’ai de l’anxiété sociale et un TDAH, j’ai le monde qui danse devant mes yeux et les chiffres qui dansent comme le reste dans ma tête. Je suis militant, à mon niveau, et je suis contre la maltraitance des enfants. Je suis contre les sectes, contre le capitalisme. Contre le mensonge, la plupart des drogues, et la violence sauf en défense. Et, pour tout ça, je n’ai plus le droit d’exister dans cette famille dont je ne voulais plus. Et j’ai mal, même si je n’ai jamais réussi à les aimer. Peut-être parce que je n’ai jamais réussi, et qu’elleux disaient m’aimer, partaient du principe que je les aimais. J’ai mal de ne pas avoir réussi, et d’avoir dû partir. D’avoir dû partir, en sachant que même si je n’avais pas voulu... Je rêve d’avoir une famille. Aujourd’hui, j’ai une famille, bien qu’incomplète. J’ai des adelphes, l’une d’elleux a même des enfants. J’ai deux neveux. Et j’ai des ami-es. Je n’aurai probablement jamais de parents, sauf Papy, et je crois que je dois faire mon deuil de cette envie d’avoir plusieurs parents. Mais, aujourd’hui, je suis entouré. Toutes ces peines tournent encore, planent sur mes jours et sur mes nuits, mais je peux leur survivre. Je crois. Je ne suis pas conçu pour vivre, ni mon corps ni mon cœur, mais conçu pour survivre, survivre à tout. Peut-être même à moi.


(Petite précision concernant mon envie exprimée d'avoir "un papa et une maman". Qu'on soit clair : ici, je parle de ma situation personnelle, dans une famille de cishet. J'aurais aimé que cette famille-là en soit une vraie pour moi. Mais si j'avais eu deux mamans, deux papas, deux parents non-binaires, plus de deux parents ou quoi que ce soit d'autre, mon texte se serait formé sur le modèle de ma situation. Oui, j'avais absolument besoin de le préciser. Oh et il faut absolument que je précise autre chose : j'ai eu besoin d'écrire ce texte parce que j'étais en train d'écouter "Le portrait" de Calogero, pis juste après c'est passé à "Si seulement je pouvais lui manquer", et, bref, j'étais en pls)


17 octobre 2019.

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