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L'élégance du hérisson, poire au citron

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

Ma façon de chanter a changé. J’ai perdu le talent, j’ai perdu l’âme, ne gardant que les capacités vocales. Qui n’ont pas été diminuées par le semblant de début de mue que j’ai connu. J’ai perdu ce qui faisait l’émotion, ce qui faisait la présence, ce qui faisait la communication. Pourtant, Yohana n’a pas cette impression. Bien sûr, elle n’a jamais connu mon chant d’avant, mais elle trouve dans le présent tout ce que je dis avoir perdu, je crois. Aujourd’hui, en relisant L’élégance du hérisson, de Muriel Barbery, j’ai compris pourquoi. Je ne dirige plus mon chant vers l’extérieur, je chante pour moi, je chante en moi, je vis en moi. J’ai perdu en prestance, mais gagné en intensité. Je m’éparpille moins, je me concentre sur moi, sur les sensations internes, pas sur l’extérieur. Ou peu. Paloma dit que c’est justement en allant VERS qu’on perd de soi, et en se centrant sur soi qu’on devient remarquable pour de bon. Renée se moque sans gentillesse du snobisme des riches, de leur amour des apparences, qui la force à cacher son intelligence et ses manières pour se conformer à ce qu’ils imaginent d’une concierge. Paloma s’extasie devant la vraie beauté d’un mouvement qui ne va pas VERS, mais EN. Un mouvement pour soi, un mouvement qui, de l’extérieur, a bien un but, quand on connait le contexte, mais qui, de l’intérieur, n’a pour but que la félicité de celui qui se meut. Et mon chant, c’est exactement ça, en ce moment. Je croyais que c’était mauvais, que c’était inférieur, et finalement, c’est peut-être comme ça que j’aurai la force. Parfois, chanter pour le public, c’est évident, c’est une nécessité. Mais, pour commencer, je crois à présent qu’il faut se lancer pour soi, chanter en soi, vibrer de l’intérieur plutôt que de transmettre les vibrations. Parce qu’en vibrant en soi, on finit par justement transmettre les vibrations plus loin. Au lieu de perdre de l’énergie à les envoyer aux gens, ce sont les gens qui cherchent à les happer, ce sont eux qui utilisent leur énergie. Je suppose que, dans un concert ou un déploiement public, ça peut mener à des choses que j’ai pu connaître en tant que public : l’épuisement de soi, la fatigue comme si on avait soi-même chanté, couru ou autre. C’est peut-être la même chose qui provient de certains acteurs, de certains passages dans un film ou une chanson, quand l’émotion me gagne, moi, sans que je l’éprouve, et me submerge sans que je la connaisse. Ces sensations que j’affectionne, le sentiment d’avoir vraiment vécu ce que d’autres ont donné ou mis en scène ou vécu, c’est un accomplissement en soi, j’adore être épuisé de l’effort des autres, du vrai don de soi. Peut-être que la dépression, le retour forcé sur soi, l’impossibilité de communiquer avec l’extérieur, et, parfois, la douleur, et, toujours, la culpabilité lancinante, c’est ce qui va finalement m’accomplir en tant que chanteur. Plus difficile sera l’application pour l’écrivain en herbe que je suis. Bernard Werber dit qu’il faut du travail, de la chance et du talent, pour réussir. Dans l’écriture, je pense avoir un certain talent, à en croire celleux qui me lisent. Pour qu’iels m’aient lu, et que j’aie pu entendre leur admiration ou leur appréciation, je dois avoir de la chance. Quant au travail, j’en ai toujours été dépourvu. Mais, ayant cru perdre ma chance et mon talent, j’ai été forcé de m’y mettre. M’astreindre à écrire au minimum une page par jour, depuis près de trois mois (certes, suite à une opération, j’ai perdu la motivation et n’ai pas écrit une ligne pendant trois jours, bien que mon état physique n’ait pas été altéré par ladite opération, mais je me suis relancé de plus belle), faire un exercice physique dans la journée, chanter, si pas tous les jours correctement, au moins de quoi poster une vidéo par jour, et manger, chaque jour. C’est minuscule, mais c’est déjà tout ça en plus de rien, ce que je faisais avant. Les rares personnes qui peuvent avoir un aperçu du résultat (pour le chant et l’écriture) ne semblent pas remarquer ma perte de talent personnelle, ce qui m’incite aujourd’hui à penser que je n’ai peut-être pas perdu la chance non plus. Alors, je me retrouve aujourd’hui avec un peu des trois ingrédients nécessaires. Je vais réussir ! Werber dit aussi qu’un bon roman doit pouvoir se résumer en une blague. Détail amusant : le roman que j’écris a commencé par une blague, et mon idée s’y résumait alors. Récemment, j’ai aussi appris à accepter que tout n’était pas parfait, et c’est ça qui me garde la tête hors de l’eau. L’envie d’écrire, de chanter et la motivation ne restent que parce que j’ai accepté de faire des phrases, des lignes, parfois même des paragraphes inutiles, que je supprimerai plus tard, des chansons ratées, des versions diminuées de choses que je maîtrise habituellement. Accepter ma propre imperfection est finalement le socle de mon oeuvre, le carburant de mes tentatives, dans le but d’un accomplissement. Je vais réussir ! Qui suis-je ? Je suis quelqu’un qui aime. Je suis dieu, je suis amour, je suis Jésus descendu pour aimer, pour pardonner. Car, quand quelqu’un me fait du mal, extérieurement je veux me venger, je veux faire mal, mais intérieurement, je veux aider. J’écris la douleur, j’écris la joie, j’écris les gens. Mais les gens que j’écris m’ont fait du mal, et je ne leur fais que du bien. Aujourd’hui j’écris vraiment les gens qui m’ont ait mal, qui m’ont brisé, déçu, détruit. Et ils vont bien. Ils sont heureux, ils sont gentils. Je ne peux leur pardonner dans la réalité, alors je leur pardonne dans un livre, dans une chanson. Aujourd’hui, je chante différemment. Ce que je croyais être une absence d’émotion est en fait une absence de vengeance. Je n’ai plus envie de faire mal, plus envie d’avoir mal non plus mais surtout plus envie de faire mal. Les chansons qui racontent la méchanceté que j’ai pu connaître, je peux les chanter maintenant, sans rancoeur, sans nocivité. Qui suis-je ? Je suis quelqu’un de profondément bon, qui souffre de tout le mal, qui souffre de ne pas être parfait et de faire effectivement du mal. Je souffre de voir la souffrance, chez moi ou chez les autres. Je suis prétentieux, je suis excessivement fier, je suis ambitieux à ma manière, je suis différent. Je suis idiot, naïf, parano. Dans un livre, dans une fiction, on peut transformer ses bourreaux en victimes. Moi, j’ai choisi de ne faire aucune victime. De faire un livre centré sur des gens bien, qui s’aiment, se protègent, se soutiennent, se sourient. Je suis beau, je suis grand. Je suis fort et puissant. Je suis narcissique et bourré de complexes. J’écris un livre pour faire du bien aux gens qui m’ont fait du mal. Et la personne qui m’a fait le plus de mal, presque la seule significative, celle qui a tout fait, c’est moi. A force de me faire du mal, j’écris un livre pour me faire du bien. Un livre qui décrit les rêves que je n’ai pas pu atteindre, qui décrit mes défaites, mes échecs, mes aspirations avortées, et qui les réalise. Qui me rappelle tout ce que je n’ai pas réussi. Et qui me fait réussir. Qui me fait admettre la possibilité, entrevoir la réalisation. Qui me dit qu’il n’est pas trop tard. Qui aurait pu me faire beaucoup de mal, et qui devait sans doute au départ, mais qui finalement me donne l’autorisation de réussir. Et oublier de vouloir être heureux. Parce que tout ça importe peu. Je veux accomplir, je veux réussir. Je suis un compétiteur, je suis un acteur, je suis un vainqueur. Je suis un sourire, je suis un éclat de rire, je suis un rayon de miel ou de soleil. Et je suis, resterai, un enfant.


J’ai changé. Je suis un peu redevenu l’enfant que j’ai été, il y a très longtemps. Pour les gens qui ont suivi certaines de mes élucubrations et interrogations, ça signifie que j’ai réglé certains conflits en moi. Je crois que je suis enfin prêt à mettre un terme aux amitiés qui ne me font pas de bien, qui m’enfoncent. Si les personnes concernées viennent me parler, je suppose que je répondrai, dans l’ensemble, mais je n’veux plus faire semblant de m’y intéresser. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai une idée de ce qui est en accord avec moi, et de ce qui ne l’est pas. Je vais perdre beaucoup, je vais perdre surtout du mal. Couper les ponts avec quasiment toute ma famille (si t’es de ma famille et que je t’ai en ami fb, dis-toi bien que ça ne te concerne pas). Oui, j’ai grandi. Grandir pour moi ça signifie donc être un enfant pour de bon, m’autoriser à l’être. Accepter de ne pas tout maîtriser, que tout ne soit pas parfait. Je veux m’autoriser à accrocher, à tenter, à ne pas tenter, j’veux plus me forcer. Quel intérêt ? Me détruire à petit feu juste pour les beaux yeux de gens qui ne comptent même pas pour moi ? La belle affaire. J’ai réussi à écrire un livre, il est loin d’être parfait évidemment,mais il mérite d’être peaufiné. J’ai osé poster des vidéos de ma sale gueule en train d’chanter, malgré la qualité de mon micro et ma peur. Tu sais j’ai une bouteille de jus de pomme tatouée sur le bras. Tu sais j’ai la même bouteille tout au fond de mon coeur, avec un mini-moi qui nage dedans. Tu sais j’suis pas humain, j’suis juste une voix une chanson, j’veux lancer mon putain d’coffre et arrêter d’trembler quand des gens peuvent m’entendre. J’crois bien qu’mon corps avait besoin d’être soigné, malgré tout. J’veux me mettre à la flûte traversière, puisque j’ai pas d’accordéon. Mon souffle mérite d’être bossé. Je mérite de chanter. Aujourd’hui, pour la première fois de ma vie je crois, j’ai vu cette fameuse affiche, en vrai. J’ai changé. Je suis redevenu moi, un peu. J’aime à nouveau les câlins, mais je ne me forcerai plus à en faire à tout le monde sous prétexte que les autres en veulent. J’ai le droit de choisir les gens que je câline. J’ai le droit de refuser un câlin à une personne que je câline habituellement. Oui, ça tombe sous le sens. Mais je viens seulement de le réaliser. J’assume d’être un enfant, syndrome de Peter Pan ? Je peux enfin me relever. Voir le goût et lire le son :? Un chewing-gum poire-citron. Je peux en visualiser le goût. Une sorte de grosse boule de gélatine jaune fade, avec du marron en petits traits, et un coulis jaune translucide vaguement teinté de vert, qui dégouline sur le dessus et à l’intérieur. Et puis, quand les gens parlent, je peux lire leurs fautes d’orthographe, même celles qui ne s’entendent pas. En résumé, ne vous en faites pas, je suis en vie, je m’en sors. J’ai changé, mais je vais peut-être enfin pouvoir recommencer à me balader et à voir des gens. Un peu.


21 février-26 mars 2019.

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