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Pureté militante

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

[Contexte : les shitstorm sur twitter s'enchaînent. Un mec trans qui dessine toutes les meufs trans qui veulent, pour qu'on les voie vivantes, et qui se fait harceler ainsi que sa commu parce qu'il a osé dessiner une meuf dangereuse. Des gens qui expliquent que plein de mecs trans et personnes transmasc se mettent à détransitionner, pas par envie, pas parce qu'ils se trouvent finalement pas transmasc, mais par peur d'être assimilés aux mecs cis oppresseurs, à force que des gens des gens soutiennent que si t'es un mec t'as forcément plus de privilèges que n'importe quelle meuf, que des gens souhaitent leur mort, leur disent de se suicider, parfois "pour rire". Des mecs trans, handi, racisés, etc, qui se font harceler, sous couvert de misandrie (en vrai les gens qui les harcèles tiennent les mecs discours que les TERF, les mascu ou les fafs de base). Bref, un peu trop de trucs, qui font un peu trop mal. Et les gens qui viennent harceler n'ont pas l'air de se soucier de la santé mentale, de l'énergie, etc, des personnes auxquelles iels s'en prennent.

PS : y a aussi l'islamophobie ambiante, l'islamophobie sur twitter, l'islamophobie dans le militantisme... et le racisme mal caché derrière.]


Quand on lutte contre les oppression, on a envie de faire ça bien. C'est logique. Et donc, quand on constate la manifestation d'une oppression, on réagit, autant qu'on peut. Si quelqu'un dit ou fait un truc oppressif, on lui signale, on tente de lui apprendre comment ne pas recommencer, ou bien on s'énerve parce que ça fait trop mal, et notre colère est légitime.

Et parfois, en se rendant compte qu'une personne, personnalité publique ou militant-e ou autre, le choc est tel qu'on la range mentalement dans la catégorie "personnes dangereuses et oppressives", et ça aussi c'est compréhensible et légitime. Ensuite on peut attendre des autres qu'iels aient la même réaction.

Mais c'est pas toujours le cas. Parce qu'on est toustes différent-es, et que nos réactions varient. Et, oui, c'est aussi légitime de couper contact avec les personnes qui continuent à soutenir des gens qui font des trucs pas corrects, y a pas de souci.

On peut aussi demander à tout le monde d'avoir la même réaction que nous. Sauf que tout le monde ne le fera pas. Et forcément, on a toustes des erreurs à notre actif, et des fréquentations douteuses, et des modèles pas safe.


Mais y a des gens qui attendent des autres qu'iels soient irréprochables, ainsi que tout leur entourage.

J'ai un gros problème avec ça.

Déjà parce que personne n'est parfait-e, de manière évidente. Oui, on fait toustes des erreurs, plus ou moins graves. Oui, nos mots peuvent dépasser notre pensée, ou simplement refléter une déconstruction pas assez avancée. On n'arrête jamais d'apprendre. Et, vu le nombre d'oppressions différentes qui existent, il est logique de ne pas être 100% clean sur chacune. D'autant qu'il est impossible d'être 100% clean même sur une seule, vu qu'on baigne dans la société. Il se passera encore du temps, sûrement beaucoup, avant que qui que ce soit puisse être irréprochable, même sur une seule oppression.

Au-delà de l'individuel, il y a le groupe. On ne peut pas avoir un entourage totalement clean, personne ne le peut.

Et pourtant, c'est l'idée de la pureté militante. Au moindre faux pas, à la moindre trace pas nette dans le passé de qqn, on peut décider que la personne n'a plus sa place dans le militantisme. Y compris si c'est une victime d'oppression, voire de plusieurs oppressions, une personne isolée. La cancel culture, c'est très bien quand on la dirige contre des personnalités publiques dangereuses, des gens que tout le monde encense sans tenir compte de leurs travers. Mais quand on la dirige contre des personnes fragiles, isolées, ça n'aide personne, et ça enfonce des gens qui certes ont fait des erreurs, mais pourraient peut-être progresser. Je n'attends pas grand-chose d'un réalisateur blanc qui a violé des gamines (oui je parle du type auquel tu penses), par contre je pense qu'une personne enby racisée qui a eu des propos douteux concernant le sexisme (là c'est juste un exemple, j'ai personne en tête) est capable de comprendre son erreur, et de s'améliorer.

On est nombreuxes dans le militantisme à avoir des problèmes dans nos vies, et une santé mentale plus ou moins fragile. On est nombreuxes à être neuroatypiques, et/ou psychoatypiques. Nombreuxes à souffrir et à s'accrocher à ce qu'on peut pour tenir. Alors si regarder un film en particulier, c'est le dernier truc qui te fait sourire, même si c'est un film dont l'acteur principal bat sa femme, tu devrais pouvoir le regarder pour sourire. Si ton groupe de musique préféré, le seul qui te fasse ressentir des choses positives, n'est pas assez militant, pas assez déconstruit, ne va pas assez loin, ou a commis des erreurs il y a dix ans, tu devrais pouvoir écouter ce groupe pour te sentir un peu mieux, aller à leurs concerts sans te faire engueuler.


Et je crois que mon plus gros problème avec la pureté militante, c'est son hypocrisie. Parce que ses adeptes ont tendance à ne pas reconnaître leurs propres torts, ou à ne pas les assumer, te renvoyer tes propres erreurs pour te virer d'un espace dont tu as besoin.

Alors oui, il faut se protéger des agresseurs, bien sûr. Oui, il faut les empêcher de recommencer, et informer leur entourage et les potentielles autres victimes et potentielles futures victimes, les soutenir aussi. Et, oui, parfois on est amené-e à choisir entre fréquenter / soutenir la ou les victimes, et fréquenter / soutenir un agresseur. Dit comme ça, le choix semble évident. Sauf que la vie n'est jamais aussi simple. Si l'agresseur (ou même agresseur présumé, allez) est en couple avec ta mère ou ton frère, ou si c'est une personne dont tu as besoin pour avancer dans tes démarches, ou qui te soutient moralement, et que tu ne connais aucune des victimes, ou bien que la victime est quelqu'un qui t'a fait du mal récemment... Bref, y a des situations complexes, dans lesquelles il n'y a parfois aucune bonne réaction possible, mais plusieurs réactions plus ou moins positives, avec leur lot de points négatifs. Parfois on va avoir une réaction égoïste, qui va faire du mal à des gens, parce qu'on en a besoin pour s'en sortir, pour ne pas se suicider ou pour accéder à un traitement dont tu as besoin, par exemple. Oui, parfois on va être égoïste, et on a le droit.

L'essentiel, c'est de faire son possible, de faire de son mieux pour progresser, pour lutter contre les oppressions, de reconnaître ses erreurs et d'éviter de les reproduire. Mais si on ne survit pas, on ne peut pas s'améliorer. Si on se fait éjecter des espaces qui nous aident, parce qu'on a merdé, on ne peut pas aider les gens à qui on a fait du mal (s'iels le souhaitent), ni aider d'autres gens qui ont merdé à s'améliorer.


On a toustes fait des choses dont on n'est pas fièr-es, qu'on aimerait pouvoir changer. Mais si on a changé, si on est de meilleures personnes à l'heure actuelle, c'est entre autres parce que des gens nous ont donné de quoi progresser, des gens ont cru en nous et ont accepté nos erreurs comme étant du passé, pas comme la personne qu'on voulait être.

Je ne parle pas d'impunité, bien évidemment. Chacun-e est responsable de ses actes. Mais il y a des actes volontaires, ou mesquins, ou pas assumés, ou pas reconnus comme des actes punissables, et aussi des actes involontaires, ou bien intentionnés, ou regrettés, ou reconnus, des actes qu'on ne veut pas reproduire, qui nous ont permis de nous rendre compte qu'on faisait de la merde. Y a des gens qui n'ont pas envie de changer ni de se repentir. Y a des gens qui font semblant de regretter, semblant d'avoir changé. Mais y a aussi des gens qui ne se rendent pas compte de ce qu'iels ont fait, et faut leur expliquer. Des gens qui regrettent, qui ont vraiment changé et qui veulent une nouvelle chance dans le militantisme (ou dans ta vie mais pas à la même place parce qu'iels ont brisé votre relation et en ont conscience). Des gens qui viennent de passer des années à essayer de rendre le monde meilleur, malgré leurs erreurs passées, ou justement parce qu'iels ont commis ces erreurs. Des gens qui, si on les aide à comprendre, vont pouvoir rejoindre la lutte et nous épauler, pour éviter que d'autres commettent ces erreurs. Des gens qui, si on les soutient, vont devenir de belles personnes, qui aideront les autres. Parmi les gens qui ont fait des erreurs, certain-es étaient enfants, ou très jeunes, trop jeunes pour comprendre l'impact de leurs actes. Certain-es ont grandi. Certain-es étaient dans des situations trop complexes pour risquer de se mettre en danger en agissant autrement. Certain-es croyaient que c'était la chose à faire, parce qu'on le leur avait appris ou parce qu'iels ne comprennent pas les interactions sociales.

Ces personnes ont pu changer. Certain-es l'ont déjà fait. D'autres n'attendent que l'opportunité de le faire. Et ces personnes-là comptent. Ces personnes ont le droit de prouver leurs progrès. Ces personnes ont le droit de s'amender, d'agir pour réparer le tort qu'elles ont causé, même si bien sûr certaines choses ne se réparent pas.


Je ne parle pas d'effacer l'ardoise, d'oublier le passé, mais de prendre en compte le reste.


Je parle de ne pas exiger la perfection, d'accepter les erreurs, et de travailler à l'amélioration. Parce que pour changer le monde, il faut croire que le monde peut changer, et que les gens peuvent changer. Pour lutter contre les oppressions, il faut avoir conscience qu'on les intériorise nous-mêmes, et qu'on lutte en permanence à l'intérieur. Pour améliorer la vie des minorisé-es et opprimé-es, il faut prendre en compte le paramètre de la neuroatypie, et la psychophobie. Parce que, oui, pour préserver sa propre santé mentale, on fait toustes des choses qu'on préférerait ne pas faire.

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