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Les Fleurs

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

J’aimais courir dans les prés, j’aimais dévaler les collines, fleur parmi les fleurs, couronné de mes pétales dorés et ondulants. J’aimais sauter dans les rivières, me couvrir de boue du sol au plafond, pierre parmi les pierres, transportant avec moi mes amies douces ou rugueuses. J’aimais danser dans le soleil, nager dans la lumière de la lune, j’aimais respirer l’air léger, étoile parmi les étoiles, mes yeux brillant de mille feux. J’aimais rire aux éclats, j’aimais me balancer, j’aimais partir soudain d’un grand éclat de rire, oui, j’aimais te regarder. J’aimais boire l’eau de mer, j’aimais pied nu sur les cailloux ou le feu du campement, flamme parmi les flammes, la chaleur de mon corps faisant fondre les coeurs. J’aimais les arbres et les feuilles, j’aimais la pluie la glace et la neige, j’aimais chanter sur mon perchoir en haut du prunier, j’aimais lire en donnant de la voix, oiseau parmi les oiseaux, copinant avec les chats qui chantaient avec moi. J’ai arraché tous mes vêtements, j’ai poussé un grand cri, encore, j’ai juré que j’allais rouler, rouler, pierre dévastant les fleurs. Et je me suis jeté en avant, et j’ai roulé. J’ai pris dans le visage les boutons d’or et les soucis, dans le ventre les brins d’herbe et quelques ronces, dans le dos la terre et les cailloux. J’ai pris dans mon caleçon tout plein de particules, dans les pieds des bestioles qui piquent. Et j’ai dévalé la colline, sous les yeux des autres, circonspects. A l’arrivée, l’eau m’a cueilli, dessus et dessous, pluie et flaques. C’était doux, dans la chaleur, ça réveillait l’odeur des fleurs. Alors j’ai respiré, en l’écoutant respirer, c’était rassurant. C’était rassurant de le savoir tout près, il ne pouvait rien m’arriver. J’ai arraché tous mes vêtements, j’ai poussé un grand sourire, encore, et puis j’ai voulu l’embrasser. Mais il a dit oui, il voulait aussi. C’est lui qui ne voulait pas, et qui n’a rien dit. Mais qui s’est embrasé, comment la forêt a-t-elle flambé, je ne comprendrai jamais. Et je ne savais pas, je ne savais pas que j’allais à nouveau dévaler la colline, avec les fleurs de son rire et de sa peau, avec les ronces de son coeur émietté, avec les cailloux de sa voix fatiguée. Je ne savais pas qu’en bas m’attendrait la pluie rafraîchissante, empoisonnée par les flaques rances et amères qui me consument aujourd’hui. Sa respiration n’est plus du tout rassurante, elle me terrifie. J’ai arraché tous mes vêtements, j’ai poussé un grand soupir, encore, et j’ai marché dans les flammes d’un enfer réjouissant. J’ai cru à ses sourires, me suis perdu dans son rire, j’ai voulu y croire et tout fait pour m’y perdre. Je me suis dit qu’il ne pouvait pas être comme il le disait, pas volontairement. J’ai dansé, j’ai roulé dans l’herbe, les trèfles et les pissenlits, les roses et les bleuets, j’ai chanté sous la pluie, j’ai tatoué son nom dans mes carnets. J’ai regardé, j’ai écouté, j’ai imaginé, j’ai senti ses muscles, j’ai senti sa chaleur. Et je me suis brûlé, aux larmes de ses mensonges. Je me suis coupé, aux lames de ses regrets. Je me suis pendu, aux cordes de ses lèvres. Je me suis noyé, dans les pétales de l’oubli. J’ai arraché tous mes vêtements, j’ai poussé un grand espoir, encore, et j’ai sauté dans l’eau bretonne. J’ai entendu ma voix, de tous les coins du bois, répondant à mon rire, j’ai entendu les rochers et les pins palpitants. J’ai senti sous mes doigts la caresse des roses, au fond de l’eau céans, j’ai goûté les pissenlits et leurs racines, dans le vent sanglant des souvenirs. J’ai couché avec lui, j’ai couché avec elle, oh et puis avec lui, et encore avec lui, et puis avec tous ceux, et avec elle peut-être, et puis avec son sourire. J’ai pleuré mes bestioles, et mes joies qui s’étiolent, j’ai ri avec la violence, perdu mes innocences, j’ai enterré mes peurs, terreau de mon malheur. Et sous les chrysanthèmes, j’ai laissé mes espoirs, robes fanées de mon enfance abîmée. J’aimais les fleurs, pendant des heures, j’aimais les pierres, encore hier, j’aimais les étoiles, toujours à poil, j’aimais les flammes, consumant mon âme, j’aimais les oiseaux, caché dans les roseaux. J’aimais mon sourire, qui faisait briller mes yeux. Mais mes yeux ont brillé trop fort, brûlé mon sourire, la corolle blonde est tombée il y a bien longtemps, et ma peau a fané sous les larmes. L’eau acérée a serré ma gorge, je peine à respirer. J’aimais tant de choses, mais l’air abîme tout ce qu’il touche. J’avais peut-être trop d’air à l’intérieur, au fond de mon coeur la brise s’est faite ouragan, charriant les débris de pissenlits, de bleuets, de feuilles de prunier, de chansons. Ma voix s’est brisée sur les épines des roses, j’aimais tant de choses.



19 mai 2020.

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