Si t'es assigné-e femme, et/ou perçu-e comme femme, on t'apprend à être disponible, faible, sensible, à tout accepter, tout faire pour que tout tourne bien, que tout le monde s'entende etc.
Si t'es assigné-e homme, et/ou perçu-e comme homme, on t'enseigne à être ambitieux, fort, distant, à t'énerver, tout faire tourner autour de toi, te faire respecter en écrasant les autres etc.
Bon, ça, c'est le postulat de base. Je crois pas qu'il y ait grand-chose à discuter, on sait toustes que la société nous formate comme ça, et qu'ensuite c'est à nous de nous déconstruire comme on peut. Oui y a plein d'autres choses, y a le choix des loisirs, des études, etc, je sais, pas envie de faire une liste exhaustive, d'ailleurs c'est drôle ça me fait penser à "exhausted" en Anglais, épuisé-e, parce que du coup c'est cohérent : c'est épuisant d'être exhaustif-ve. Si tu veux plus d’exemples, viens me demander. Y a aussi les nombreuses exceptions, par exemple des personnes trans, qui sont éduquées selon les stéréotypes d'un genre, mais qui ne s'y reconnaissent pas, dès le départ ou à la longue. Le fait d'être éduqué-e d'une manière ne signifie pas que tu vas te conformer à cette éducation dans ta vie d'adulte, simplement ça influe, ça fait des choses (dans le sens de l'éducation en question, ou à l'opposé). Bref.
Mais j'aimerais aller plus loin. Parce que l'éducation qu'on reçoit n'est pas uniquement genrée, et donc sexiste (et transphobe et homophobe et enbyphobe et juste totalement queerphobe en général), et raciste (mais je sais pas trop comment en parler parce que je suis pas concerné et je fréquente essentiellement des blanc-hes), et globalement empreinte de toutes les oppressions. Elle est aussi influencée par beaucoup d'autres choses, bien sûr les idées politiques des parents, mais aussi leur religion par exemple.
Oui, c'est là que je veux en venir. Perso, j'ai grandi chez les témoins de jéhovah (vous remarquerez à quel point il m'est impossible de mettre une majuscule à ce prénom, comme au mot "dieu" d'ailleurs), et... j'suis un peu perdu. Oh ça m'a fracassé la tête et mon estime de moi, ma vision de beaucoup de choses, et puis être queer neuroA ça influe aussi bien sûr.
Parce que du coup, quand on me disait "mentir c'est mal", moi j'entendais "mentir c'est mal". Quand on me disait "les anniversaires c'est mal faut surtout pas y participer", j'entendais "tu dois refuser les bonbons si c'est pour un anniversaire même si t'as déjà presque pas d'ami-es et si presque toustes les autres te détestent et/ou te trouvent bizarre et ridicule et du coup tu peux pas leur dire que ta mère est tj parce que sinon iels vont tellement te tomber dessus donc tu dois refuser les bonbons mais dis-leur juste que t’aimes pas les bonbons parce que c’est vrai t’aimes pas trop ça mais t’aimerais bien en prendre pour te sentir un peu moins exclu pour être un peu comme elleux un peu moins bizarre mais tu peux pas et du coup c’est pas vraiment un mensonge mais un peu quand même donc c’est mal mais un peu moins que de prendre des bonbons d’anniversaire” bref j’ai vingt-quatre ans et je me sens toujours coupable de ça. Ah mais ça m’a fracassé la tête hein j’vous dis.
Mais entre autres, ça fait que j'ai des réflexes similaires à ceux de personnes assignées femmes, perçues comme femmes, éduquées comme femmes, parce que les tj t'apprennent à aimer ton prochain et à faire le bien autour de toi et à te soucier de tout le mode plus que de toi et à pas t'énerver et à préférer donner que recevoir, bref beaucoup de concepts associés à la féminité. J'ai pas vraiment eu une éducation genrée, j'ai eu une éducation de témoin de jéhovah. Et je sais pas si je suis un cas à part, pour ça. Mais c’est sûrement un des trucs qui incitent les gens à me genrer au féminin.
Et c’est chiant. Parce que du coup ça me donne souvent envie de me comporter comme un connard, un gros mascu de merde. Et j’ai pas envie. Moi j’suis un p’tit enfant sensible, ouais, j’serai jamais un homme parce que j’serai jamais grand, j’suis un p’tit garçon qui grandira jamais, et ça pour les gens ça veut dire que t’es pas un mec. J’en ai ma claque de l’humanité. Allez bouffer les rangers de Jean.
Les termes “amab” et “afab” (“assigned male/female at birth”) me mettent mal à l’aise. Je croyais que c’était un truc perso, que c’était moi spécifiquement qui étais pas à l’aise avec ça, mais hier j’ai lu des comm’ qui mettaient des mots sur mon malaise. Je comprends l’utilité de ces termes, quand on veut expliquer à des gens “dans quel sens ça marche la transidentité”, leur faire comprendre qu’une meuf trans c’est une meuf qui a été assignée mec, qu’un mec trans c’est un mec qui a été assigné meuf, et qu’une personne non-binaire c’est une personne nbi qui a été assigné-e binaire à la naissance. Par contre, je ne comprends pas leur utilisation en-dehors de ce cadre “éducation de base/définition des termes liés à la transidentité”. Je vois et entends souvent des militant-es parler de personnes afab et amab, et toujours ce malaise en moi. Au final ça sert à quoi de déconstruire la notion de genre, de respecter l’identité d’une personne, si c’est pour se référer quand même au genre assigné ? De mon côté je préfère utiliser des expressions comme “perçu-e mec/meuf” ou “éduqué-e mec/meuf” par exemple. C’est sûrement pas parfait, mais au moins, ça ne présume pas du genre réel de la personne, ni même de son assignation. Hélas, ça garde le problème de la binarité. Je suis ouvert aux suggestions.
Juste, sérieux, on peut arrêter de sortir du “afab/amab” à toutes les sauces ?
Posté le 19 mai 2020.