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J'aime pas les gens.

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

Quand tu sors de chez toi, tu jettes un coup d’oeil à gauche, puis à droite, puis tu rives ton regard droit devant ou par terre, tu avances en te demandant si t’as pas oublié un truc, pantalon ou pull par exemple, si tes cheveux vont pas influer sur la façon dont on va te percevoir, tu mets les mains dans les poches pour que tes ongles longs et tes doigts fins ne soient pas visibles, tu figes ton expression, ni sourire ni colère ni rien, un visage fade, fixe, neutre, un peu fermé pour éviter tout dialogue. Et puis tu te rappelles de ne pas lever les yeux, parce que les gens pourraient voir leur clarté et te parler, ils pourraient voir ton incertitude et ta gêne et te parler, ils pourraient voir tes cils ou ton existence et te parler. Tu fais attention à ta démarche, même si t’es mal réveillé, tu tentes de contrôler chaque mouvement de ton corps pour ne garder que le balancement de tes épaules et le choc de tes pieds, chaussés ou non, sur la chaussée. D’un coup, tu prends conscience que ton pantalon trop large ne masque pas tes fesses, que ton pull ample ne masque pas la finesse de tes épaules ni ton torse, que ton cou long et fin fait vraiment tache à côté du reste et laisse d’autant plus remarquer ta petite tête, et ta taille réduite, qui tranchent avec l’impression que tu voulais donner. Tu hésites entre ton attitude enfantine et tes vêtements plutôt pas, ton style toujours entre les deux, tu ne sais pas si tu vas passer pour un gamin ou pour une adulte. Oui, tu as les traits fins, les membres fins, la voix fluette, tu es petit, tu as un visage d’enfant, et tes cheveux longs n’arrangent rien. Tu es un garçon, tes amis le savent, tout le monde autour de toi le sait, mais les gens qui ne te connaissent pas vont encore croire que tu es une fille. Tu as eu des soucis hormonaux, tu en as encore, et tu as vraiment beaucoup de caractéristiques physiques vues comme “féminines”. Tu tentes d’expliquer aux gens que, oui, ton frère aussi a eu de la poitrine à l’adolescence, mais toi t’as pris plus cher et que c’est pas parti. Que, oui, ta voix est aiguë, enfantine, parce que tu n’as pas mué. Que, oui, tu tords du cul, tu as des manières, héritées de ton père. Que, oui, tu aimes les hommes, mais que tous les gays ne sont pas efféminés. Que, oui, tu aimes les femmes, mais non tu n’es pas lesbienne, puisque tu n’es pas une fille. Tu ne sais plus si tu dois verser dans le cliché masculiniste, homophobe, transphobe, tu ne sais plus si tu dois mettre en avant toute la virilité dont tu es pourvu, dire “non désolé j’suis pas gay laisse-moi” quand un mec hétéro tente une approche dans la rue, dire “oui oui j’suis un mec, oui j’suis, sûr, ah oui avec un pénis” quand il insiste quand même parce qu’il est persuadé que tu fais semblant et que t’as pas d’bite, ou bien dire “oui j’suis efféminé, bah j’suis gay quoi” quand on te croit pas, te justifier d’exister en disant que t’as été élevé avec des filles alors que c’est faux, que t’as des manières comme ton père parce que c’est vrai, ou parce que t’es gay alors que ça n’a rien à voir, te justifier en disant que tes parents voulaient une fille et ont un peu essayé. Tu sais plus si tu dois maîtriser ta voix pour qu’elle parte pas trop dans les aigus, ou parler normalement et préciser que t’as pas mué, ou juste lâcher l’affaire parce que de toute façon on te croira pas puisque les gens savent mieux que toi qui tu es et ce que tu as dans le pantalon, ça semble évident. Dans la rue, tu tentes de jouer le jeu, de faire comme si tu comprenais pas que le “madame” s’adresse à toi, de faire comme si c’était la première fois qu’on te prenait pour une fille, de faire comme si tu étais choqué qu’un mec te drague parce que eh les gays ça drague pas dans la rue stp ils se cachent, tu fais comme si t’étais un mec lambda, pas homophobe mais pas chaud à l’idée qu’un homo l’approche. Tu fais le mec sûr de lui, comme si t’avais aucune crainte que la personne qui t’interpelle plus ou moins gentiment finisse par te toucher le torse ou mettre la main dans ton pantalon “pour vérifier”, comme si t’avais aucune crainte de te faire insulter, frapper, violer. En covoit’, tu dis que tu utilises le compte de ta soeur, parce que sur la photo t’as les cheveux vraiment longs, ou alors tu dis juste “oui oui, Leo c’est moi, je sais ça surprend toujours la première fois”, tu attends le “ah mais t’es une fille” ou le “désolé je t’ai pris pour une fille en te voyant” pour réagir, dire “ah non non” si tu as le courage de lancer la discussion là-dessus ou passer outre si t’es pas assez en forme pour subir un interrogatoire en règle, dire “ça m’arrive tout le temps vous en faites pas” ou “ah bon ? ça doit être à cause des cheveux” ou autre connerie. A chaque fois tu mesures les risques, les chances, tu vois ce qui passe ou non. A chaque fois tu te demandes si tu dois parler de “ton copain” ou de “ta copine” ou dire qu’en fait des fois tu sors avec plusieurs personnes, tu évites quand même d’aller jusqu’à préciser le nombre de sexfriends à la fois ou le nombre total de personnes avec qui t’as couché. A chaque fois tu te demandes si tu dois te faire passer pour un mec hétéro, ou laisser l’interlocuteur te voir comme une fille, hétéro ou homo. Parfois tu te dis que tu devrais essayer de sortir “je suis trans” juste pour voir la réaction. Parce que t'es trans non-binaire, mais qu'en général les inconnus ne prennent pas ça au sérieux. Quand tu fais du stop, s’il fait chaud tu hésites à enlever des vêtements, si on pense que tu as des seins et qu’on voit tes bras fins on va te prendre pour une fille, d’un côté tu sais que les gens s’arrêteront plus facilement, mais comment leur dire après que, non non, t’es un garçon ? Tu fais attention à ta posture, parce que si tu mets une jambe en arrière ou une main sur ta hanche tu passeras 100% pour une meuf, mais si tu gardes tes deux pieds bien plantés dans le sol tu finiras par avoir mal parce que tu ne sais pas te tenir droit, tu hésites entre mourir de chaud avec tes vêtements et encaisser les klaxons ou commentaires graveleux si tu te dépoiles un peu. S’il fait très froid, tu hésites entre les couches de chaleur et la tentative de booster ton entreprise en te dépoilant. Une fois en voiture, tu attends que la personne te genre pour savoir ce que tu dois ajuster dans ton comportement, si par miracle on te dit “il” surtout tu ne bouges plus un poil tu ne changes rien et tu fais bien gaffe de pas te redresser et de pas parler trop fort, tu te demandes si tu peux quand même tousser ou éternuer ou boire ou parler de ton chat. Si tu perds à la roulette russe et que tu as droit à un “elle”, tu ignores, tu fais genre t’as pas entendu, tu tentes une ou deux fois de te genrer au masculin en espérant qu’on capte, puis tu lâches l’affaire. Si tu as droit au fameux “le stop ça marche mieux pour les filles”, ou “je m’arrête pas pour les hommes”, ou même le magistral “mais vous avez pas peur de faire ça en tant que femme ?”, tu tentes les réponses évasives “oui c’est vrai les gens s’arrêtent plus facilement face à une personne petite et au visage fin que face à un grand type barbu”, ou “je pense pas que le stop soit plus dangereux que de marcher dans la rue, qu’on soit un garçon ou une fille”, mais de toute façon, la peine est là : on te prend pour une fille, et tu n’oses rien dire de peur de voir la personne changer d’avis. Encore une fois, tu te demandes si tu dois dire que tu vas “voir des amis” ou “rejoindre ton/ta petit.e ami.e”, est-ce que dire que tu sors avec une fille en comptant sur l’hétéronormativité poussera ton interlocuteur à se questionner sur ton genre ou à comprendre que tu es un mec, est-ce qu’en parlant de ton copain tu peux espérer qu’on te voie comme un mec homo, si on t’a d’abord genré au masculin, sur quelle partie de ta personne vas-tu devoir faire un trait cette fois ? Se justifier d’exister, à chaque instant. Voir sa propre personne critiquée ou condamnée, mais surtout et avant tout invisibilisée, comme si ta réalité n’en était pas une puisque les autres ne la vivent pas. Mais au-delà de ma propre personne, de mon propre corps ou de mon orientation sexuelle, je dois faire attention à tout le reste. En effet, si j’ai affaire à un patron, ou un “riche”, il vaut mieux que j’évite de trop m’étaler sur ma vie “de bohème”, que je dise plutôt que je n’ai pas encore trouvé d’études ou de travail à mon goût, “je préfère attendre plutôt que de me retrouver à partir au bout de deux semaines vous comprenez ?”. Des exemples comme ça, j’en ai des tas. Moi, j’aime pas trop qu’on me juge, alors avec les potes, tranquillou j’peux être moi, mais avec les inconnus, je dois gérer plein de trucs, et vu ma compréhension très limitée des relations sociales, c’est un sacré bordel. Oui, je suis passé de la deuxième personne à la première, au cas où tu n’aurais pas percuté depuis le début, toi au fond de la classe que j’aime très fort mais qui n’écoutes pas grand-chose. Bref, je n’aime pas les gens, quand ils m’empêchent d’être moi.


4 mars 2018.

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