Il va être temps de faire un texte pour rappeler que les oppressions ne sont pas des manifestations de "QI inférieur" ou autre "absence d'intelligence". J'arrête pas de voir des comm' réagissant à transphobie, racisme, sexisme etc en mode "laisse c'est des cons", "ils ont pas de cerveau" etc. Sauf que déjà c'est psychophobe à ma connaissance, mais surtout ça déresponsabilise et dédramatise à outrance. Parce que, si ton QI est bas, ben t'y peux rien c'est comme ça, c'est pas de la mauvaise volonté et a priori ça changera pas trop (de ce que j'en sais, et sachant que le QI est une mesure aussi fiable que l'IMC, soit : pas beaucoup et selon des paramètres très précis, en vrai faudrait adapter à chaque personne, ce qui rendrait la mesure caduque je crois). Si c'est une question de QI, c'est pas ta faute, c'est ton cerveau. Et donc, ça enlève toute violence au propos : c'est pas transphobe, c'est de la maladresse parce que la personne n'a pas les capacités intellectuelles pour ne pas dire ça, ne pas penser ça, la personne n'est pas capable de ne pas insulter et humilier toute une catégorie opprimée de la population. Faut pas lui en vouloir, faut pas lui faire de reproche, c'est impossible de lui expliquer le problème. (Déjà, un manque d'intelligence en face ça ne veut pas dire "totalement impossible de communiquer suffisamment efficacement pour expliquer un truc", ça veut juste dire que c'est à toi de t'adapter à la personne pour lui expliquer efficacement, parce que c'est toi qui disposes des ressources intellectuelles nécessaires.) Donc ça nie la violence des propos, ça enlève toute responsabilité à la personne, ça sous-entend qu'il est inutile de discuter parce que la personne ne peut pas comprendre, ne peut pas évoluer. C'est un peu le même principe que les insultes en "fils de" : c'est pas un connard mais un enfant de sale type, c'est pas une personne méchante mais l'enfant de gens pas fréquentable, c'est leur faute pas la sienne (et souvent ça sous-entend "la faute de la mère" parce que la société est encore tellement sexiste que, par défaut, on impute l'éducation des enfants à la mère, pas au père), c'est comme ça on y peut rien ce sera toujours l'enfant de ces gens. Voire "c'est dans ses gènes". Bref, ce concept pue. En plus, ça voudrait dire que ne pas être oppressif-ve ou tenter de l'être est une marque d'intelligence, et que donc toustes les militant-es sont forcément beaucoup plus intelligent-es que la moyenne. Alors que... Non. On est des humain-es, on est comme les autres. Alors oui les proportions de personnes opprimées sont, chez les militant-es, largement supérieures à la moyenne, mais l'intelligence ça n'a rien à voir. Non, l'oppression n'est pas une question d'intelligence. C'est important de mettre les mots sur les choses : une remarque ou attitude transphobe, raciste ou autre, c'est pas "con", c'est transphobe, raciste etc. Il est crucial d'utiliser des mots précis pour ça, pour ne pas minimiser l'impact, ni les raisons, le processus qui amène à dire et faire ça. (Bon, le processus, c'est essentiellement "la société nous l'apprend de manière intensive dès l'enfance". C'est la déconstruction de tout ça qui est plus complexe.) Un propos ou comportement oppressif, c’est pas un manque d’intelligence. C’est parfois de la maladresse, associée à de l’ignorance, des préjugés, bref le fait de baigner dans une société oppressive. Mais, quand ce n’est pas une simple maladresse, quand c’est volontairement violent, c’est clairement pas de la “bêtise”. Y a toujours l’ignorance et les préjugés, mais la maladresse est remplacée par une volonté de nuire et/ou de protéger ses propres intérêts. Parce que tout simplement, si t’es un mec blanc cishet valide etc, l’oppression des autres soutient tes privilèges, donc pour les garder tu vas soutenir les oppressions. Et si t’es privilégié sur plein de points mais que tu subis une ou deux oppressions, genre t’es un mec blanc cis valide mais pas het, bah si tu veux conserver tes privilèges tu vas essayer de pas être assimilé aux opprimé-es qui se plaignent etc. Et si t’as un ou deux privilèges mais que tu subis plusieurs oppressions, genre t’es cis mais t’es une femme ni het ni valide ni blanche, si tu veux conserver ton privilège tu vas potentiellement lutter très fort pour écraser les autres et t’en sortir en fait. En gros, si tu as la volonté de préserver ton ou tes privilèges, ou même juste ton impression de ne pas subir d’oppression, tu vas forcément encourager des oppressions, et être d’autant plus virulent-e pour tacler les victimes de ces oppressions. Donc, un comportement oppressif va très généralement être appuyé par cette volonté de garder ses propres privilèges. C’est pas anodin, c’est pas “con”, c’est pas le signe d’un manque d’intelligence. C’est beaucoup plus profond que ça. Beaucoup plus grave. Parce que ne pas être intelligent-e, c’est pas grave. Cela dit, même le concept d'intelligence me dérange, tel qu'utilisé généralement. Au collège, quelques personnes me disaient que j'étais très intelligent, alors que je me faisais harceler et traiter de "débile taré idiot" etc. Déjà ma réaction quand quelqu'un me disait "intelligent" c'était systématiquement de nier, puis de dire "l'intelligence scolaire ok parce que j'ai des bonnes notes, mais l'intelligence scolaire ne fait pas tout, c'est une goutte d'eau dans l'océan de ce que peut être l'intelligence", en substance (sauf les fois où j'étais incapable d'ouvrir la bouche, bien sûr). Parce qu'il y a plein de formes d'intelligence, plein de façons d'être intelligent-e, et beaucoup ne se voient pas, ne sont pas perçues comme de l'intelligence, voire sont décrites comme l'inverse. Et je pense qu'un pan entier de la psychophobie repose sur ça. Par exemple, y a des gens qui pensent que toustes les autistes sont "débiles" (dans l'utilisation la plus courante du mot), sous prétexte qu'on ne communique pas de la même façon, ou qu'on réfléchit autrement. Le fait d'avoir un cerveau "différent" semble donner le droit aux gens d'évaluer ton niveau d'intelligence (un peu comme l'image où on voit un poisson, un singe et un éléphant je crois, et un prof qui dit "on va évaluer votre intelligence selon votre capacité à grimper sur cet arbre", bah oui forcément ça marche moyen hein). Et au-delà, beaucoup de gens se basent sur la communication pour évaluer l'intelligence, sauf que justement, nous c'est un truc qu'on a tendance à faire hors des codes (ou au contraire appliquer les codes à la lettre), et même, nos difficultés sociales influent sur notre communication (perso j'ai de plus en plus de mal à former des phrases complètes à l'oral, parce que la présence d'une seule personne rend tout presque impossible, alors qu'à l'écrit j'peux faire des pavés sans même y réfléchir, par exemple). Donc c'est un peu facile de me qualifier de "manquant d'intelligence" si tu prends en compte uniquement la façon dont je m'adresse à toi. et par "un peu facile", je veux dire "très imprécis et inexact, complètement à côté de la plaque, et violent en plus". (Bon, aussi, y a des autistes qui ont effectivement une intelligence très lente, faible ou manquant d'efficacité, et qui pourraient être qualifié-es de "débiles" si ce n'était pas un terme aussi violent, mais si certaines ont bien des capacités intellectuelles très en-dessous de la moyenne, ça ne les rend pas moins respectables ou moins humain-es pour autant, et ça ne dit rien sur l'autisme, puisque pas besoin d'être autiste pour être dans ce cas et que toustes les autistes ne sont pas dans ce cas.)
17 septembre 2020.