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C'était toi

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

Tout a un sens, pourtant celui-ci n'existera pas.


Dans un temps déjà lointain, je courais dans les ruelles que les insectes creusaient dans le sol des brins d’herbe que je foulais. Le soleil coulait sur ma peau nue, larmes sucrées d’un pays inaccessible, que je buvais avidement. L’exubérance de mes errances préservait ma liberté, lorsque toute parole semblait faite pour tuer ou emprisonner. Mais les années passaient, et, sans compagnons de jeu, il devenait pesant de toujours dispenser la bonne humeur sans jamais la voir rayonner sur les visages qui virevoltaient autour de moi. C’est ainsi qu’au fil du temps, ma joie de vivre s’étiolait, s’effilochait, pendant que les mois défilaient. Jusqu’au jour où l’insouciance laissa place à l’absence d’importance de chaque acte, poussant le vice jusqu’à me mêler aux enfants qui couraient, puis aux adolescents qui criaient, dans les cours d’écoles des petites villes que je parcourais. Disparaître lorsqu’il faut paraître, un pari bien risqué quand on ne sait rien des usages humains. Pourtant, en maîtrisant la croissance de mon corps, je parvins à me faire passer pour l’un d’entre eux pendant des années. Puis vint le jour où l’âge adulte est censé remplacer l’enfance, sans qu’on m’ait jamais prévenu. Les dix-huit ans que j’affichais alors sans complexes me parurent subitement bien lourds à porter, quand les bacs à sable et même les cours de récréation m’étaient interdits. Mais dans le Village des Enfants, l’âge maximal était de vingt ans : j’en fis mon dernier refuge. Les caravanes s’y succédaient, déposant ou éloignant quantité de bambins et d’adolescents sans la charge de leurs parents. Ce domaine des rois laissait éclater toute la joie d’être libre, pour moi comme pour les autres. Même si le temps m’était officiellement compté dans ce territoire, je profitai de chaque occasion pour comprendre ce qui ne m’entourait pas. Roulant et criant, j’étais, pour un instant, l’un des leurs vraiment.


Un an passa à une cadence respectable, jeux et rires prenant le dessus sur toutes les petites misères que les autres pouvaient connaître à l’extérieur, sans qu’on s’expliquât pourquoi il était si simple d’oublier la “vraie vie”. Tout était si simple, le jour comme la nuit, il suffisait de pousser un grand cri pour que tous s’y rallient. Et puis un matin, le soleil brillait comme tous les jours, ni plus ni moins, et les sourires étaient gais comme tous les jours, rien n’était étrange ni particulier; mais subitement mon regard fut attiré, pincé, broyé, extirpé de mes yeux et vrillé dans ceux d’un inconnu, grottes insondables, abîmes d’espérance, vortex bleu-gris dédoublé pour happer tout mon être. Puis le rideau des cils humides d’avoir tant regardé le monde, dans cet Eden protégé de l’incertitude, la cascade dorée qui encadre la félicité de ces yeux enchantés, le bouton de rosée qui éclot à l’aube d’un nouveau sourire rieur, la douceur de ces lèvres tendres sous le soupir de l’émerveillement. Sans explication la vie naît, l’amer tue mais le coeur joue pour avaler tous les malheurs. L’aurore éclaire ses traits pour me livrer un prénom avec le vent : Lionel. La crinière le laissait présager, pourtant une certaine réserve se lit dans ses gestes, cette retenue dont le charme m’atteint quelques pas plus loin. Les idées noires, les bémols salés, tout est éclipsé par la pétillance de cet être ravissant. C’est Lilith, c’est la belle amie qui cache ses cheveux noirs dans le crâne de l’éphèbe doré, deux n’en font qu’un et cinq font deux.


Sous un porche, petit carré d’herbe fraîche, cette nature qui fait défaut au monde extérieur que je ne connais plus. Mes pensées sont décousues, Lionel me suit de loin, ne me perd jamais de vue, pourtant je n’en ai pas conscience et je m’en vais chemin faisant à la recherche d’une nouvelle découverte, ces horizons et ces rencontres, tout ce que je n’ai pas encore atteint. Le long d’un haut mur, je cherche quelque prise dans le lierre qui court sur la surface, puis grimpe au sommet pour m’envoler sur les ailes d’un espoir. Courant à en perdre le temps, je sens à peine la pierre sous mes pieds nus, et le feu d’un nouveau défi se profile devant moi. Soudain, le sol se dérobe sous mes pieds, le monde disparaît et, l’espace d’un instant, je sombre dans un gouffre sans fin qui m’aspire vers la mort. Mes paupières se ferment et se serrent, comme si l’inéluctable pouvait être écarté avec la vision claire. Puis une ombre couvre le soleil, des bras m’enserrent et le sol reste loin. Lové autour d’un corps, j’ouvre les yeux après quelques secondes, le coeur entre deux battements et, dans un rai de lumière, j’aperçois un ouragan sauvage, puis un lac peuplé d’anges. Comment un simple iris peut-il abriter tant de merveilles...Nicolaï.

Exactement comme dans mon rêve, tout est si semblable, j’en crois à peine mes yeux. Mais je sais que c’est toi.

Lorsque Lionel arriva, Suraï la tendre prit le dessus sur Nicolaï et s’embrasa d’un fin sourire éclatant, le dernier fragment manquant était enfin de la partie. Alors, mes mains enveloppèrent les leurs, et le jeu commença.


Les nuages caressent le soleil, glissant sur la surface de l’eau claire qui s’étend à perte de vue. Quelques adultes veulent surveiller leur progéniture, mon protégé accompagne sa soeur au milieu des fées et des trolls, pendant que je m’étends dans mon élément, seul sur les vagues salées et amicales qui me bercent. La douce fraîcheur me libère des étranges fragrances qui suivent ces inconnus. Les heures calmes s’enchaînent, les tonneaux roulent des quantités de sable dans mes cheveux, les rayons solaires m’entraînent dans un nouveau monde. L’astre vert couvre les distances, mélodie lancinante des coeurs qui vibrent dans l’onde, s’il est encore permis de respirer. Alors, dans un ébranlement mousseux, l’ange se jette dans les flots bleus sans qu’on puisse encore distinguer ses cheveux de ses yeux ou sa peau du sel. Nageant tel un flocon dans l’averse, il s’approche de moi, nos regards se croisent, nos mains se frôlent et, comme dans un de nos rêves, nous plongeons ensemble au coeur de la mère des eaux. Insouciants, nous sommes un, nous sommes deux, nous sommes cinq, nous sommes. Sans plus avoir conscience du monde autour, nous restons là, les yeux dans les yeux, à entendre les fonds marins s’endormir dans une douceur inconnue du commun des mortels. Sous le liquide transparent, la lumière nous plonge dans une agréable torpeur, un calme olympien qui nous apaise alors que le ciel se fond dans la théorie. Puis la respiration se fait plus lente, les battements de cils et de coeur se font plus rares, et l’air envahit nos poumons lorsque nous rejoignons la surface. Enfin, l’astre luminescent descend sur l’horizon bleuté, noyant de couleurs les environs, et la clarté laisse peu à peu place à une fine opacité. Tandis que le soleil se couche sur la mer étalée, mon ange me regarde, allumant des reflets irisés sur mes lèvres, souvenir brûlant de cet instant où les siennes m’ont effleuré. Son sourire se rapproche, comme au ralenti, sa main sur ma peau dans le dos et les miennes sur ses hanches, sa main sur mon épaule, doucement il m’attire à lui, lentement je raffermis ma prise, nos respirations s’entrecroisent et s’harmonisent, sa peau si douce, sucrée, confortable; ses yeux de plus en plus sombres à mesure qu’ils disparaissent dans les miens, puis ses lèvres, perdues à une éternité, suspendues à un fil de moi, le temps nous suit, et enfin sa bouche se presse contre la mienne, très légèrement puis de plus en plus passionnément, comme une fièvre grandissante et une vie passe entre nous. La caresse du vent nous porte loin, sur des sommets enneigés ou des coulées de lave, pendant que le soleil continue son voyage vers l’autre bout du monde. Les derniers rayons chauffent nos os, l’air est si pur que l’on pourrait le voir, et, comme à regret, nos êtres fusionnés se préparent à se séparer. Mes lèvres descellent peu à peu l’étreinte enchanteresse, ses mains me retiennent encore, et ses yeux se vrillent dans les miens comme à tout jamais. Puis nos corps se relâchent, la peau gardant le souvenir de la peau, et nous contemplons ensemble la disparition de l’astre solaire pour embrasser l’avènement de son frère lunaire. Alors que le temps semble reprendre son cours, un appel retentit, il faut sortir de l’eau et quitter la liberté. Un être regarde au loin, son ange dans la main, et s’extirpe des flots bleus. Je marche d’un pas que j’espère assuré au milieu de cette foule aux regards inquisiteurs, sentant parmi tous les autres celui de l’être qui m’attend au plus profond des eaux. Sans autre forme de procès, je me retourne et tends la main à l’adolescents de lumière qui finit par me suivre, et les étoiles ruissellent sur nos bras mêlés.


Tout a une fin, pourtant celle-ci n’existera pas.



27 décembre 2015.

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