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Autisme, masking : "#ÔterleMasque (mais, et si je ne savais pas comment faire?)"

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

(Traduction par un-e pote de cet article https://www.reframingautism.com.au/resources/takethemaskoff-but-what-if-i-dont-know-how , à l'heure où j'écris il n'est plus disponible)



"Cet après-midi, j'expliquais le concept de masque autistique à un.e ami.e proche, qui ne fait pas directement partie de la communauté Autiste. J'expliquai donc que de nos jours, il y avait une très forte campagne de menée pour que les Autistes ôtent leur masque, qu'ils soient qui ils sont, de manière authentique et véritable, sans aucune censure, culpabilité , discrimination ou répercussion.

J'ai dit à mon ami.e comment, en tant que femme Autiste, j'utilisais un masque pour camoufler mes traits de caractère et mes comportements moins socialement acceptés. Mettre un masque m'aide à me comporter, à jouer un rôle, d'une manière perçue comme agréable, telle qu'elle est attendue par la majorité neurotypique, d'une manière à rendre mon autisme plus confortable à expérimenter pour eux... Bien que ça ne soit pas nécessaire pour moi. Mettre un masque me permet de compenser pour mes déficits, tels qu'ils sont perçus, en me construisant des identités qui sont de manière conventionnelle plus satisfaisantes pour les personnes qui m'entourent.

Mettre un masque n'est pas uniquement un attribut d'Autistes : je pense que la plupart des gens se cachent derrière un masque, dans différents contextes sociaux. Je sais que mon mari neurotypique montre certaines qualités lorsqu'il est au travail, ou lorsqu'il retourne dans sa ville natale revoir ses amis de fac, et sans aucun doute possible, cette adaptation est une forme de masque. Cependant, dans mon cas, je suis bien certaine que l'intensité et l'intérêt que j'y porte EST très différent. C'est la nature élaborée et vaste de mon masque autistique qui le rend si distinct.

Ça aurait dû être simple, alors, d'éclairer mon ami.e sur la situation avec une sorte de « jeu des 7 différences » entre mon Moi masqué, et mon véritable Moi. Mais quand j'ai essayé de lui trouver des exemples concrets de ma vie, je n'ai juste pas réussi.

Ce n'est pas que je ne me cache pas derrière un masque. Au contraire, je suis un.e expert.e à ça. Mais je suis tellement devenu expert.e , et j'ai si bien développé mes masques pour être d'une complexité nuancée, subtile et d'une certaine finesse, que je dois lutter pour me trouver derrière ça... Et alors que je méditais en écrivant ce blog, ça m'a frappé d'un coup : je ne sais pas qui je suis.

J'ai pu lire beaucoup d'Autistes durant la campagne #Ôterlemasque qui avaient une idée de qui ils étaient une fois leur masque mis de côté, et se présentent de manière authentique, naturelle, sans artifices ou faux-semblants. Mais moi non. Moi, je ne sais pas qui je suis. Et malgré tous mes efforts, je ne peux identifier où mon masque s'arrête et où commence mon Moi. Ainsi donc, à l'approche de la quarantaine, je réalise que me cacher derrière un masque est si habituel pour moi que je n'ai aucune notion de ce à quoi je ressemble sans ça, je n'ai aucun accès au Moi sans masque.

J'ai passé tant d'années à peaufiner mes masques, à observer les autres agir, parler , jouer des rôles ; mes masques se fondant en de fidèles et complexes stratagèmes de mimétisme : les ornements de mon acceptation sociale, dissimulant les bizarreries qui pourraient m'en faire exclure. J'ai passé tant d'années à (ré)arranger mon visage, mes réponses, mes émotions apparentes, pour pouvoir correspondre aux modèles que j'ai aperçu chez les autres, pour me représenter comme le type de personne que les autres aimeraient que je sois, selon ma perception.

Et maintenant, maintenant que j'ai moyen de me débarrasser de cet échafaudage, et de me montrer comme la femme que je suis, je suis incapable de la trouver. Cette femme se trouve enterrée sous le poids d'innombrables attentes, et d'une prétention artificielle et bien-apprise.

Seulement, une partie de moi trouve cela extrêmement réducteur, et très peu juste. Parce que certains de mes masques sont réconfortants. De confiance. Ils m'apprennent à m'aimer. Ils me permettent d'être une sorte de personne que j'ai envie d'être pour ceux que j'aime. Parce que j'aime faire plaisir, j'aime suivre les règles, j'aime dépenser beaucoup de temps et d'énergie à être sûre que je rends tout le monde autour de moi heureux.se. La parfaite gentille fille. Et les masques m'ont permis, sans l'ombre d'un doute, permis d'être cette personne. Donc, je pense devoir reconnaître que je porte certains masques pour moi, car j'aime plaire.

Peut être qu'à cause de cela je loupe le coche de l'appel à #Ôterlemasque. Mais certains de mes masques ne servent pas seulement à être utiles, ils servent aussi à m'enrichir, à m'aider à gérer des parties de moi qui sans cela m'affaibliraient ou m'incapaciteraient (comme mon anxiété).

Par exemple : Je suis une excellente oratrice. J'adore parler à une foule. Et j'ai passé des années à parfaire mon masque oratoire pour soulager la nausée qui se développait dans mon estomac et la bile qui remontait dans ma gorge. Mon masque traduisait toute l'énergie qui s'accumulait dans mes mains anxieuses et paniquées en d'amples et animés gestes, ce que les gens voyaient comme une preuve de ma passion et mon charisme. J'ajustais mon script grâce à ce masque, je me déridais, j'aggravais mon ton, je projetais l'empathie, canalisait l'outrage... Je mets mon masque oratoire et je me sens confiante, claire, perspicace, précieuse. Je peux participer. Je parle, et les gens m'écoutent.

Mais encore, quand je retire ce masque, je me sens soulagée. C'est mon moi en mode Haute Performance, et je n'ai nullement la force d'assumer cette performance sur de longues durées. C'est tout simplement bien trop épuisant. Et même lorsque la bile redescend et la nausée disparaît, je ne fais que changer de masque pour un autre, un plus confortable. Qui dépense moins d'énergie, où je dois moins m'appliquer pour le garder. Un autre masque, toutefois.

Par le passé, lorsque je tentais de visualiser mon cerveau, je m'imaginais une salle d'archive labyrinthique, avec des scripts de tous les scénarios que je pourrais affronter, retravaillés pour m'en sortir en toutes circonstances. Maintenant, tout du long des différentes armoires à archives, tous parfaitement ordonnés, je vois un Hall rempli de visages comme dans Game of Thrones, les nombreux visages uniquement faits de peau, sans corps, issus de tous mes différents masques, qui me camouflent, me déguisent. Ils sont tous moi, prétendument, mais tous aussi distincts, d'une certaine manière, représentant toutes les nombreuses facettes de mes différentes personnes. Ça ne m'effraie pas le moins du monde, jusqu'à ce que je me demande lequel est la vraie Moi. Jusqu'à ce que je réalise que je l'ai sans doute égarée dans les rangées infinies de visages qui sont moi, tout en ne l'étant pas.

La nuit dernière, alors que j'étais éveillée, j'entendais et ressentais mon mari respirer d'un côté, et mon petit garçon de l'autre. Ils ne respiraient pas de manière synchronisée. Il y avait des grognements, des respirations entrecoupées, des murmures et des tremblements. Chaque expiration agaçaient mes sens. Je pouvais entendre l'excès de salive dans le moindre gargouillis, le léger blocage du nez qui provoquait un petit sifflement. J'avais l'impression que chaque respiration était comme un aiguillon électrique transperçant mes tympans, émettant de désagréables secousses jusque dans mon cerveau. Je voulais arracher violemment mes deux oreilles d'un coup, tant la pression interne que provoquaient ces bruits a-priori insignifiants était immense. Je voulais tout lâcher, m'enfuir, me libérer de cette suffocation que me causait l'entente de cette respiration. Mais je ne l'ai pas fait. J'ai enterré mes besoins, effacé mes désirs, repoussés dans la partie la plus lointaine de mon être, étouffés dans ce Hall emplis de visages.

C'est la même chose à table, au cours du dîner. Les bruits, quand on boit bruyamment, quand on mâche, avale, le tintement de la fourchette contre les dents, le « gloups » de l'eau, le bruit incongru de la mastication... Dans ces moments, si je devais me visualiser, je suis une petite enfant, courbée pour me défendre du monde en position foetale, me balançant, mettant mes mains sur mes oreilles, attendant que la douleur du bruit s'estompe. La douleur n'est peut être pas le bon mot : c'est une pression insupportable qui s'apprête à exploser à la vue de tous. Et avec mes différents masques je me suis inculqué comment réprimer cette pression tout au fond de moi, pour qu'elle explose à l'intérieur, sans que personne ne s'en aperçoive autour de moi, et qui restera inaperçue tant que je garderai cette façade d'apathie sereine.

Est-ce qui je suis ? Cette petite fille enfermée dans mon esprit, écrasée par le poids de ce besoin compulsif et inarrêtable de faire plaisir, enterrée sous des couches et des couches de neutralité et d'acceptabilité ? Refoulée. Eradiquée. Inhibée. Intimidée par ce besoin d'être quelque chose d'autre que ma personne, de réprimer , d'intérioriser cette Autre inhérente en moi. Je ne sais pas.

Il y a quelques semaines, ma mère regardait de vieilles vidéos de moi quand j'étais petite fille, à peut être 8 ou 9 ans. C'était mon anniversaire. Je jouais joyeusement et faisait la fête avec mes amis, je riais, insouciante et détendue dans ce contexte social. Ma mère souligna à quel point j'avais l'air « normale » sur cette vidéo. Pas Autiste. Pas une Autre. Pas isolée. Et je me suis demandée : est-ce que je portais un masque, là ? Est-ce que de manière si précoce j'avais déjà développé cette complexe tapisserie interne, tissée par des fils que j'avais adoptés en observant les autres, et par lesquels je suis si solidement harnachés maintenant ? Est-ce que je me liais déjà à leur si confortable familiarité, vivant ma vie essentiellement par procuration ? N'ayant jamais eu aucune notion de mon Être, est-ce que j'ai toujours adopté les caractéristiques des autres juste pour m'adapter aux situations dans lesquelles je me retrouvais ?

Je ne sais pas ce que c'est d'être moi-même. Mais je sais ce que j'aime. Je sais comment je suis, quand je suis seule. Et j'aime vraiment être seule, bien que l'opportunité de l'être soit assez rare. J'aime écouter la même chanson en boucle pendant des heures. J'aime danser, et bouger mon corps sur ce morceau, chorégraphier la réponse adéquate à cette chanson. J'aime marcher à pas démesurés, et me parler fort, à moi-même, pour me notifier de ce que je viens de faire, ce que je fais, ce que je veux faire. En fait, j'adore me parler, et ensemble, avec moi, j'ai entamé et développé de grandes conversations à voix haute, débattant, listant des choses, planifiant, organisant d'autres.J'aime ma maison comme elle est, les coussins sur le canapé dans tel angle, avec la fermeture éclair pointée vers le bas, les lits faits, sans un pli, les serviettes étendues avec les plis sur la droite, l'étiquette vers l'intérieur. J'aime manger souvent, mais de petites quantités, sans aucune référence, sans que m'importe que ce soit un petit-déjeuner, un déjeuner, un dîner. J'aime avoir perpétuellement un thé bien chaud dans ma main. Et j'aime allumer les ventilateurs, et ce, peu importe le temps dehors.

Est-ce que ces préférences, ce sont Moi ? C'est ça, Moi ? Si je me donnais plus souvent l'opportunité d'explorer cette femme, est-ce que je m'y trouverai parmi les masques ? Je ne sais pas. Je l'espère.

Depuis qu'on s'est rencontrés, mon désormais époux m'a dit plusieurs fois que j'ai l'air bien plus fatiguée que je ne devrais l'être. Ça semble très paternaliste comme réflexion, mais il s'agit plus d'une réflexion clinique après une longue observation de mon état au quotidien. Je suis constamment lassée, épuisée, fatiguée de manière chronique. Même quand je me suis bien reposée, même quand il ne se passe pas grand chose dans ma journée, j'en viens à finir chaque journée avec ce sentiment lourd que j'ai été complètement drainée, crevée, épuisée. Et alors que je réfléchissais de plus en plus à cette histoire de masques, je crois que j'ai enfin compris pourquoi je suis tout le temps, de manière constante, permanente, fatiguée. L'effort que je commets en voulant m'intérioriser moi-même, et l'effort incommensurable que je dépense pour créer et maintenir mes masques, est immense. Et cet effort massif est épuisant, un engagement gargantuesque qui absorbe ma vitalité et sape mon énergie. Et comme puis-je trouver la force de me trouver, alors que j'ai déjà épuisé toute cette force pour préserver mes masques ?

Finalement, pour moi, se cacher derrière un masque, c'est à la fois libérateur et affaiblissant de la même manière. Je ne sais pas comment ôter mes masques. Je ne sais pas comment vivre sans masques . Ils m'apportent des opportunités d'être ce dont j'ai besoin pour les gens que j'aime. Mais vivre une existence sous couvert d'un masque m'a dérobé à moi-même. Et je me dois d'essayer de me trouver. Je dois à tous ceux que j'aime de leur faire suffisamment confiance pour qu'ils apprennent à connaître le vrai moi, aussi. Même si je me sens pas prête à #ÔterMesMasques complètement. Du moins... Pas encore."

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