Je suis pas en état de demander quinze fois une explication quand je comprends pas, de demander quinze fois d'arrêter quand ça fait mal, de faire quinze lignes pour juste dire "je comprends pas explique" ou "arrête ça fait mal". Alors, si je demande, réponds. Si je dis stop, arrête. Même si pour toi c'est clair que tu déconnes. Je peux pas. Et du coup, ne t'étonne pas si je me mets très vite à gueuler. Parce que j'ai beau être le plus clair possible, on me comprend pas quand je dis très précisément les mots que je veux. Oui, je vais faire une bonne fois pour toutes un pavé pour dire ça. Parce que manifestement, quand je le dis simplement, ça suffit pas. Je suis épuisé. J’ai à peine la force de respirer, tout à l’heure en remuant ma semoule j’ai dit “qu’est-ce que je faisais déjà ?” en regardant ma main qui remuait ma semoule. L’autre jour, j’ai failli pleurer en public, seul. Dehors. Devant des gens. Pas des potes. Des gens. Des vrais gens. Parce que je savais pas si je devais acheter un paquet de madeleines ou non. Et j’étais seul. Parce que j’avais pris un bus pour rentrer de Paris. Et qu’à Paris c’était trop cool tant que j’étais chez les potes, mais après j’ai dû partir, j’ai dû aller à la gare avec un copain, et puis acheter un ticket, et puis lui dire au revoir alors que j’avais vraiment pas envie (de partir), et puis passer les portes transparentes alors qu’il y avait des gens derrière et qu’il savait pas mieux que moi si j’allais dans la bonne direction, et puis avancer jusqu’au quai alors que j’étais pas sûr, et puis monter dans le RER E qui disait “arrêt machin arrêt truc et gare de l’est” et que mon arrêt à moi était supposé être juste après l’arrêt indiqué et normalement c’était bon mais en fait le RER est passé sans s’arrêter et puis gare de l’est donc j’ai dû appeler copain pour qu’il me dise quel chemin prendre pour sortir de la gare pour aller à l’autre gare qu’il venait de m’indiquer par sms parce qu’il me fallait un nouveau trajet pour rejoindre mon bus et après je trouvais pas l’endroit où je devais prendre le premier des deux bus qui devaient me mener à mon bus et puis j’ai dû demander à des gens qui ont cru que j’étais une fille parce que je portais un bonnet avec des oreilles et puis comme j’avais peur ma voix était aiguë et puis j’ai fini par trouver un arrêt qui indiquait le premier bus et donc j’ai demandé à la personne qui donnait des horaires à un autre aussi paumé que moi mais comme la personne en question attendait juste le même bus et avait l’air d’être une femme j’ai fait attention à prendre une petite voix douce pour pas lui faire peur mais du coup l’autre qui lui demandait a cru que j’étais “sa copine” et j’ai rien dit parce que j’avais peur, peur, peur, peur que demain dans le journal de Paris ça dise qu’il y avait encore eu une agression et sauf que cette fois ce serait moi parce que si je dis “non je suis un garçon” avec ma voix de petit Leo apeuré la personne en face peut penser que je suis un enfant qui fugue ou bien un petit mec tout gay qui a peur de se prendre l’homophobie dans la gueule et du coup je peux me la prendre ailleurs et donc j’ai rien dit, j’ai rien dit, parce que j’avais peur qu’Adrien lise vraiment de mes nouvelles dans le journal parce que j’avais encore pas dit que situation peut-être dangereuse et donc j’ai rien dit parce que du coup c’était pas dangereux si je faisais semblant de pas savoir que la personne me prenait pour une fille parce que parce que je sais pas j’ai rien dit j’ai remis mon casque et la personne qui avait l’air d’être une femme m’a souri en me disant que le bus arrivait et j’ai souri et elle était contente parce qu’il y avait des places assises et je lui ai souri aussi avec ma voix parce qu’elle bah elle y était pour rien et puis elle souriait avec son joli rouge à lèvres et elle savait où elle allait et puis et puis j’ai failli faire une crise d’angoisse au milieu de ce bus parce que peur de pas choper le deuxième qui me menait à celui que je devais prendre pour quitter Paris et puis copain m’a donné les horaires et puis ça devait être bon mais j’ai confondu les chiffres donc j’ai cru que j’allais arriver une minute à l’avance et c’est pas assez si jamais je me perds et c’est pas assez si jamais le bus part à l’heure et panique et puis j’ai dû pousser des gens pour accéder à la conductrice pour lui demander où je devais prendre le bus suivant et puis elle savait pas trop mais elle m’a indiqué et puis je suis descendu et j’ai trouvé l’arrêt (les conductrices de bus de Paris je vous aime vous avez été deux adorables) et le bus est arrivé et allait dans le bon sens et puis copain avait pas oublié ce qu’il devait pas oublier et copain gérait aussi donc tout allait bien et les chiffres se sont remis dans l’ordre et les chiffres disaient que j’allais avoir un quart d’heure donc ça va et puis j’ai dû descendre du bus mais parler au conducteur avant et il savait pas trop mais j’ai aussi dû demander à des gens devant un truc qui ressemblait à un hôtel de gens riches et ça faisait peur mais iels m’ont indiqué et je suis allé mais y avait rien j’avais peur je suis rentré dans un mcdo alors que je supporte vraiment pas l’odeur du mcdo ni la texture de la porte et puis je voulais demander à quelqu’un qui y travaillait mais iels étaient occupé-es et y avait un humain avec un casque de moto juste en face de moi alors je lui ai demandé avec mon air désespéré où je devais aller pour prendre un Eurolines et il SAVAIT et il m’a dit des mots mais je comprenais pas alors il s’est approché de la porte avec moi pour m’indiquer et j’ai compris et j’ai dit merci et j’ai failli pleurer parce que j’avais compris et j’ai pris les escaliers puis les escaliers puis j’ai tourné à gauche comme il avait dit pas à droite pour le métro mais à gauche pour les bus et j’ai trouvé une salle d’attente toute vide et j’ai eu peur et puis j’avais le temps et puis j’ai fini par trouver l’endroit où fallait prendre le bus mais il était déjà là et donc c’était bizarre alors j’ai sorti mon billet un peu mouillé par la pluie de Paris et froissé par la poche du manteau de Felix et puis j’ai baissé mon casque et montré mon billet et la personne a regardé et m’a fait monter mais en Espagnol et puis j’ai demandé à une personne aux longs cheveux blonds si je pouvais m’asseoir et elle a dit oui et j’avais peur de l’incommoder avec mes chaussettes-chaussures mouillées parce que la pluie ça les fait sentir très fort comme quand je puais des pieds parce que je portais des chaussures mais j’ai arrêté d’en porter parce que ça fait mal aux pieds et aux jambes et au dos et à mon coeur et ma tête mais du coup les chaussettes elles sont bien mais l’humidité c’est terrible et donc je m’installe et j’enlève mes chaussettes et je les mets sous mes fesses pour qu’elles sèchent et qu’elles sentent pas et puis j’ai voulu dormir mais j’étais pas contre la fenêtre donc je pouvais pas m’installer et puis humain hippie m’a demandé en Anglais (mais il était pas anglais il était hispanisant) si j’allais à Extinction-Rebellion mais j’ai pas compris les mots et j’ai dit que j’allais à Bordeaux et il a répété et j’ai compris et du coup j’y allais pas et je pense que c’était par rapport à mes fringues et c’était rigolo et je pouvais pas dormir et donc c’est pour ça que j’ai failli pleurer comme une madeleine pour savoir si je devais acheter des madeleines ou non et finalement j’en ai pris mais là j’ai envie de pleurer parce que je sais pas si c’était une bonne idée. Je suis épuisé. Vraiment. J’ai les dents trop serrées pour manger ma semoule, maintenant elle est froide et le gruyère est même pas mélangé donc il a pas fondu. Parce que mes doigts devaient répondre à des gens qui me parlaient. Et j’ai l’impression que tout le monde m’engueule en ce moment, peut-être que vous m’engueulez pas mais moi à l’intérieur je me fais engueuler donc s’il vous plaît faites attention je déborde je déborde je panique et si je te demande d’expliquer c’est que je comprends pas ça veut pas dire “surenchéris comme ça je finirai par comprendre” non mon cerveau est pas capable juste pas capable trop de bruit dans mon esprit je peux pas analyser alors dis les choses clairement sinon je m’effondre. Si je demande une explication c’est que je suis à deux doigts de pleurer d’incompréhension et de tomber sur mon lit et de casser mon ordi parce que je comprends pas pour me rouler en boule et pleurer et crier et me griffer et cogner mes petits poings serrés sur mon petit crâne qui résonne parce que je peux pas raisonner. Alors si je te demande, réponds. Si je te dis stop j’ai mal, arrête parce que j’ai mal. Si je dis tu me fais paniquer, arrête parce que je panique. J’ai plus la force. Je suis épuisé. Je dois survivre pour aller à la poste faire signer un papier, et dans un grand bâtiment pour demander un papier, et puis chez l’avocate pour lui donner toute mon enveloppe remplie de plein de papier, et puis réserver un trajet pour aller à Lyon avant Noël et puis y arriver et puis dormir et puis faire tous les trucs que je dois faire et puis ensuite avoir un appartement et puis dormir et mourir, pour survivre je dois mourir un mois dans mon futur appart, alors d’ici-là laisse-moi me reposer, ne me rajoute pas de difficultés, je vais pas tenir sinon, vraiment. Je veux pas mourir, laisse-moi ne pas vouloir mourir, laisse-moi vouloir ne pas mourir. Je suis fragile, très fragile, je tiendrai, mais pas si on m’en rajoute encore et encore. M’engueule pas. Peut-être que c’est évident que t’es ironique, ou que tu veux défendre quelqu’un qui n’a rien demandé d’ailleurs, ou que t’as raison, tout simplement, raison, mais je peux pas je peux juste pas garder les yeux ouverts si tu cries, même si c’est pas ta voix qui crie, elle crie dans mes oreilles quand tu dis des trucs secs, j’ai peur, je veux me rouler en boule et oublier, alors m’engueule pas même si tu veux pas m’engueuler et que tout ça c’est dans ma tête, c’est ma tête qui va décider si je survis ou non donc c’est réel, laisse-moi exister. Je sors mes couilles, enfin je burn-out. Laisse-moi survivre.
17 décembre 2019.