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L'autodiag : bien ou mal ?

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

A vrai dire, la question est plutôt de savoir si c'est pertinent. Mais avant tout, il faut savoir ce qui se cache derrière ce mot. D'ailleurs, précision : "autodiag", c'est "autodiagnostic", et "NA" (que je mentionnerai souvent), c'est "neuroatypie/neuroatypique".


Je précise que ce texte est une réponse à la colère, la haine que des gens balancent dès qu'on mentionne le mot "autodiag". J'exagère pas, tu peux faire une rapide expérience sur twitter : à partir du moment où un profil/tweet a un minimum de visibilité, parler d'autodiag semble autoriser les gens à insulter sans se questionner toutes les personnes qui font état de leurs troubles psy. (Bon, parler de troubles psy a déjà un peu cet effet, mais au moins les gens sont capables d'identifier que c'est de la violence, alors que quand c'est pour tacler l'autodiag et carrément les personnes autodiag, là ça leur semble légitime...)

Tu trouveras en fin d'article mon propre témoignage.

Petite remarque en passant : si tu dis qu'une personne ne peut pas s'autodiag parce qu'elle n'est pas spécialiste, tu admets par la même occasion que tu ne peux pas infirmer son autodiag, si tu n'es pas spécialiste non plus. Cohérence. Qu'est-ce que n'est pas l'autodiag ? (C'est étrange de commencer par là ? Et pourtant.)

L'autodiag n'est pas un diagnostic officiel. Ça peut sembler évident, pourtant les gens qui crachent dessus ont tendance à penser que c'est équivalent pour les gens qui en parlent. Non, ça ne l'est pas. Ça n'est pas non plus quelque chose de sacré, qu'il ne faut jamais questionner, creuser, ni quelque chose qu'il faut absolument mettre en doute, tenter de détruire. Ça n'est pas immuable : au fil des recherches de la personne, il peut évoluer, s'approfondir, se modifier, se clarifier. Ça n'est pas forcément une fin en soi : certain-es s'en contenteront, pour différentes raisons que je citerai plus tard, mais beaucoup chercheront des confirmations ou de plus amples informations chez un-e psy, et auront besoin d'un papier officiel pour des raisons qui les regardent et leur sont propres. Ça n'est pas une insulte aux "vrais diag", ni un "faux diag", ça n'enlève rien aux parcours officiels, ça ne change rien à la vie des "vrai-es autistes" (par exemple), ça n'est pas une façon de dire "je vaux mieux qu'un diag officiel". Ça n'est pas la preuve d'un-e "faux-sse autiste" (par ex). Ça n'est pas "une invention pour attirer l'attention". Ça n'est pas un moyen de gagner de l'argent. Ça n'est pas le résultat d'un test fb. Ça n'est certainement pas une raison ni une excuse pour insulter la personne, la harceler, ou autres. Qu'est-ce que l'autodiag ?

C'est avant tout beaucoup de recherches. Des heures le nez dans les bouquins ou sur internet, à creuser la question d'une neuroatypie (NA) ou d'une autre, des troubles psy en général, à te demander si tu es un-e usurpateurice, ou si t'es en train de devenir fol. Et c'est souvent aussi toute une vie à se sentir "en décalage" avec le reste du monde, des années à entendre les gens te dire à quel point t'es bizarre, chelou, anormal-e, dérangeant-e. C'est la manifestation d'un besoin : besoin de savoir pourquoi et comment t'es différent-e, de trouver des astuces pour mieux vivre voire des façons d'aller mieux, besoin de ne plus se sentir seul-e. C'est une conviction personnelle : tu es certain-e d'avoir un trouble psy, et probablement celui-ci. C'est un droit à l'erreur : tu peux penser être autiste, et finalement avoir un TDA (Trouble Déficitaire de l'Attention) ou être bipolaire, et c'est pas grave de se tromper. C'est quelque chose d'important, qu'il faut respecter et prendre au sérieux (ce qui ne signifie pas "abonder systématiquement dans le sens de l'autodiag sans aucun esprit critique", mais plutôt "poser des questions pour savoir ce qu'est le trouble cité et pourquoi la personne se sent concernée, se renseigner", sans mettre en doute tout ce qu'iel dit). C'est parfois une demande de soutien, si la personne commence à en parler. C'est un premier pas : beaucoup de parcours officiels commencent par un autodiag, parce qu'aller chez un psy en listant tous les traits autistiques (par exemple) dans lesquels on se reconnaît, ça réduit l'errance médicale. C'est quelque chose que tout le monde fait : pas besoin de médecin pour savoir que tu as un rhume, pas besoin d'hôpital pour savoir que tu as la jambe cassée, pas besoin de dermatologue pour savoir que ta peau a un problème (oui le dernier exemple est vague, mais un autodiag peut aussi être vague : parfois quelqu'un dit "je suis NA mais j'en sais pas plus"). C'est une étape positive dans la vie d'un-e NA (même si chacun-e la vit différemment et qu'elle peut être douloureuse). C'est le signe d'une NA, pas toujours celle qu'on croit, mais si tu penses qu'une personne cherche à attirer l'attention en s'inventant des troubles incohérents ça signifie qu'elle ne va pas bien du tout et qu'il faut la soutenir, l'encourager à consulter ou en tout cas à continuer ses recherches pour ne pas passer à côté de "son vrai trouble" (donc si tu veux son bien, tu t'amuses pas à lae casser gratuitement avec des insultes ou des phrases dégradantes). C'est un moyen de se faire du bien, d'apprendre à se connaître.


"Je suis autodiag", ça peut vouloir dire "je sais que j'ai un trouble mais aucune idée duquel", "j'ai pas envie d'être plus précis-e", "trop peur des psy/médecins pour entamer un parcours officiel", "j'ai demandé un diag mais on a refusé d'essayer parce que je n'ai pas l'air de souffrir assez", "je suis en cours de diag", "je sais que je suis autiste/autre mais pour l'instant je peux pas faire de démarches". "Je suis autiste autodiag", ça peut vouloir dire "j'ai des traits autistiques", ou "je me demande si je suis pas autiste", ou "je me reconnais beaucoup dans les définitions de l'autisme", ou "j'ai plein de difficultés, qui correspondent à l'autisme, mais j'ai pas envie de lister mes difficultés à chaque personne que je rencontre donc je résume en disant que je suis autiste".


Maintenant, il est temps de se demander : pourquoi l'autodiag ?

(Précision : je ne parle que de ce que je connais. S'il y a des troubles pour lesquels l'autodiag n'est jamais pertinent, je les connais pas.)

La première réponse, plutôt évidente, c'est l'errance médicale. Parlons de ce que je connais le mieux, l'autisme : ce trouble est très mal connu, en France spécifiquement (on est vraiment très en retard sur ce point). Je ne m'étendrai pas ici sur la façon dont il est perçu dans la population, par contre dans le domaine professionnel c'est gravissime. Les médecins généraliste n'y connaissent rien du tout en général, et ce sont les premièr-es supposé-es nous orienter vers un suivi psy et des demandes de diag. Les psy (chiatres, chologues, et je vous parle même pas des autres) sont très rarement formé-es à la question, mais même les spécialistes de l'autisme ont tendance à être à côté de la plaque. Oui, y a encore des spé TSA (spécialistes en Trouble du Spectre Autistique) qui pensent que tu peux pas être autiste si t'as une vie sexuelle parce que les autistes ne supportent pas le contact (plot twist : chaque autiste est différent-e). Donc obtenir un diag d'autisme, ça peut prendre beaucoup de temps, il peut y avoir des erreurs, à un moment beaucoup d'autistes étaient d'abord considéré-es comme schizophrènes par exemple.

Mais ça, c'est la partie émergée de l'iceberg.

Les autistes diagnostiqué-es petit-es, ça va assez vite, les CRA (Centres de Ressources Autisme) les prennent en priorité. Les ados, déjà ça se complique un peu, parce qu'en général s'iels ont pas été repéré-es petit-es iels ont appris le masking (le fait d'essayer de cacher ses différences, ses spécificités, d'essayer de se comporter "comme tout le monde", comme ce qu'on perçoit des neurotypiques).

Mais se faire diagnostiquer à l'âge adulte, ça relève du parcours du combattant. Il y a en général un minimum de deux ans d'attentes pour un diag autiste en CRA. Un-e adulte autiste, y a presque jamais un-e pro qui va lui dire "hm je pense que vous êtes peut-être autiste on va entamer un processus", parce qu'iel aura passé sa vie à apprendre le masking donc ses traits autistiques seront beaucoup moins repérables qu'à l'enfance. Et aussi, s'iel a pas été repéré-e dans l'enfance, c'est probablement parce que ce n'est pas l'un des deux clichés de l'autisme : ni le mec cishet blanc non-verbal qui se balance et hurle dès qu'on le touche, ni lae génie des maths pas très à l'aise en société. Donc, à moins d'être un-e pro spécialisé-e dans l'autisme ou d'être très bien renseigné-e sur ce trouble, y a peu de chances d'identifier un-e autiste adulte non-diag.

Pour la question du sexisme (chez les cis, déjà), les femmes et filles autistes sont beaucoup moins diagnostiquées. Pas parce qu'il y a moins d'autistes chez elles, non, mais parce qu'on oublie qu'elles existent, voire on le nie (oui y a vraiment des SPECIALISTES qui pensent que l'autisme, c'est masculin). Et parce que l'autisme féminin fonctionne un peu différemment : leur masking est vachement développé, parce qu'on apprend aux filles à prendre sur elles, à pas faire de vagues, y compris si elles ont mal. Et y a des trucs qu'on peut prendre pour "l'expression de sa féminité" alors que c'est lié à un trait autistique, comme l'hypersensibilité. Bref, elles passent sous les radars, très souvent.

Concernant les queers, y a encore des spécialistes qui pensent que, si t'es homo, tu peux pas être autiste, et que si t'es autiste tu peux pas être homo. Même schéma pour n'importe quelle orientation sexuelle/romantique, transidentité et non-binarité, etc.

Le racisme a aussi sa part. Parce que l'autisme, c'est un truc de blanc-hes, pas vrai ? Bien sûr que non. Mais, dans le même principe que pour le sexisme ou la transphobie, on va attribuer tes traits autistiques à autre chose (ici donc, à ton ethnie/tes origines globalement).

Classisme : hors CRA, ça coûte des thunes, de demander un diag. Et pas qu'un peu. Encore faut-il savoir que ledit diag existe. Selon ta classe sociale, t'es plus ou moins au courant des troubles psy qui existent, mais aussi plus ou moins susceptible d'attribuer tes troubles à un manque de culture, d'intelligence, ou à ta "nature", sans chercher plus loin. Les troubles psy sont courants chez les SDF, mais sous-diagnostiqués, puisqu'iels n'ont pas accès aux soins physiques et encore moins aux soins psy, les gens les regardent à peine.

Y a aussi les phobies : des médecins, des psy en particulier, la peur de la psychiatrisation, de la médicalisation, du non-respect du consentement etc.

Et, bien sûr, y a les comorbidités/conditions associées. TDA(H) (Trouble Déficitaire de l'Attention avec ou sans Hyperactivité), TAG (Trouble Anxieux Généralisé), TCA (Trouble du Comportement Alimentaire), SED (Syndrome d'Ehler-Danlos), SPT (Syndrome Post-Traumatique), et j'en passe. Beaucoup d'autistes ne sont pas identifié-es parce qu'il y a erreur de diag, ou qu'on se "contente" d'un premier diag d'anxiété par exemple. L'inverse est tout aussi courant. N'empêche que l'anxiété sociale peut grandement limiter ton accès aux soins et aux diag. Pareil pour n'importe quel trouble physique.


L'autodiag est important, surtout pour les troubles psy comme l'autisme, parce qu'il permet d'accéder à un parcours officiel notamment. Si tu ne soupçonnes pas une NA, tu vas rarement aller voir un-e pro pour faire des diag psy au hasard. Autodiag, ça veut dire que tu fais des recherches sur la question, et donc ça te permet de trouver des noms à poser sur les choses, de comprendre qu'un truc que tu fais n'est en fait pas courant, de remarquer des spécificités et des douleurs que tu n'identifiais pas.


Eh oui, la psychophobie est aussi le croisement de plusieurs oppressions, et chaque oppression subie diminue l'accès correct au diag. Il est difficile d'obtenir un diagnostic dont on a besoin, tout autant qu'il est difficile de ne pas se voir affubler d'un diag qui ne nous correspond pas / nous sera préjudiciable. D'où la convergence des luttes, dans le but d'améliorer l'accès au diag (ce qui implique aussi l'absence de diag quand celui-ci n'est pas souhaité par la personne).

Au passage, il y a quand même des risques avec l'autodiag. Bon, pas forcément plus qu'avec un parcours officiel, mais il est nécessaire d'en parler : bien qu'à peu près toustes les concerné-es que je connais et dont j'ai entendu parler se soient autodiag "sans faire exprès" donc à force de se reconnaître un peu trop fort dans tous les trucs qui parlaient de TSA (par exemple), il arrive que des gens, en raison d'un trouble psy ou non, cherchent à s'autodiag absolument tel ou tel trouble, et finissent par développer des traits autistiques qu'iels n'avaient pas (toujours pour l'exemple de l'autisme). A titre personnel, je ne peux pas savoir si c'est plutôt "la personne développe réellement ça alors qu'iel ne l'avait vraiment pas avant" ou "la personne avait développé un masking très fort qui vole en éclats ou disparaît peu à peu quand iel apprend des choses sur son trouble", mais faut quand même pas passer outre. Toujours pas une raison pour insulter les concerné-es, cela dit.


En résumé, tant que la société n'évoluera pas au niveau des oppressions, et tant qu'on n'aura pas davantage de spécialistes des NA, accessibles, et au fait des avancées à l'étranger, l'autodiag restera essentiel (même comme fin en soi). Et, dans une démarche médicale officielle comme dans un processus personnel de recherche, l'erreur existe. Des spécialistes qui se trompent au début, ou pendant longtemps, ça arrive beaucoup (surtout pour les troubles psy), donc il est logique que ça arrive aussi en autodidacte, par contre on a quasi jamais d'autodiag qui n'ait aucun trouble psy au final. On a aussi l'exemple d'un spécialiste qui twittait, y a pas si longtemps, en substance "en quinze ans de métier j'ai reçu plein d'autodiag dans mon cabinet, et iels se trompent moins souvent que moi" (https://twitter.com/igorthiriez/status/1142497464382976000) , parce que, oui, la personne concernée est bien placée pour identifier ses symptômes. Pas pour poser un diag, pas pour trouver un protocole de soin, mais pour identifier ses symptômes. L'autodiag est pertinent.


C'est pas forcément un processus conscient et volontaire. Les recherches faites avant de s'autodiag, très clairement c'est pas toujours "dans le but de trouver des différences" ni "dans le but de s'autodiag". Perso ça m'est tombé sur le coin de la gueule je m'y attendais pas : je faisais des recherches sur l'autisme parce que ça m'intéressait et que j'étais certain de pas être concerné, à chaque fois je me reconnaissais dans les trucs et ma phrase dans ma tête c'était "ah c'est marrant je fais ça aussi, mais moi j'suis pas autiste". Pis les potes aussi, celui qui à chaque anecdote me disait "c'est marrant parce que ce que tu me dis c'est littéralement un trait autistique". J'ai jamais cherché à m'autodiag, je cherchais pas de différence entre moi et les autres, ni même à nommer les différences, juste apprendre des choses sur un sujet qui m'intéressait et me concernait pas du tout (plot twist : en fait si). L'autodiag est une étape. Pas obligatoire, simplement ça fait partie des étapes possibles et actuellement les gens ne voient pas ça comme une étape possible et légitime... et c'est contre ça que je veux lutter.


Dans mon cas perso, étant donné que j'ai peur des médecins, suis SDF, en rupture familiale etc bah sans l'autodiag j'aurais jamais su que j'étais autiste. L'autodiag a tellement pas de valeur pour les gens que j'ai besoin de faire un article pour dire "hey ça peut être vachement utile en fait, ça a de la valeur pour la personne et c'est légitime d'accorder de la valeur à un truc même si les autres trouvent ça inutile".

Un des arguments "contre l'autodiag", c'est que la personne est biaisée quant à sa situation. Sauf qu'un processus officiel aussi peut être biaisé, soit par lae pro qui cherche absolument un truc ou qui interprète mal ce qui est dit ou qui minimise des symptômes/ressentis, soit par lae patient-e qui préfère garder des trucs pour ellui ou qui ne remarque pas quand iel sort de la norme.


Tu peux être convaincu-e d'avoir un trouble psy et finalement t'as "juste" une grande souffrance, mais si cette souffrance impacte le quotidien et les actions j'appelle ça un trouble psy; si tout ton fonctionnement interne est perturbé par la douleur, j'appelle ça une neuroatypie... Je sais pas si j'ai la même définition que tout le monde, mais ça semble important de le dire : "trouble psy", "neuroatypie", c'est hyper vague, mais ça reste une façon de dire que la personne ne correspond pas aux normes psy, et qu'iel a peut-être besoin d'aide.


Y a des gens qui ne veulent absolument pas d'un accompagnement pro mais simplement la reconnaissance de leur handicap/trouble etc, pour pouvoir choisir leurs aménagements ou ne pas en faire mais qu'on les croie quand iels disent "je suis autiste/autre". Y en a plein qui demandent pas plus que ça. Pas plus que le respect de base : si quelqu'un te dit "j'ai mal au crâne baisse la musique stp" tu vas pas lui gueuler dessus "ah bah nan c'est pas vrai t'as pas mal au crâne parce que t'as pas de certificat médical et si t'es pas allé voir le médecin c'est que t'as pas vraiment mal". Là pareil, "j'ai du mal avec les bruits aigus/la foule, stp on évite au max" il devrait pas y avoir besoin d'un papier de psy qui dit que t'es autiste pour que les gens respectent ça. Mais dans les faits si tu ne PROUVES pas que t'es autiste on te fout pas la paix, et même avec un diag officiel on te fait chier, genre Alistair (HParadoxae) les gens viennent encore lui dire "t'es pas un vrai autiste parce que tu corresponds pas au cliché que j'ai de l'autisme et ton diag est forcément un faux vu que t'as payé pour l'avoir" en gros.

C'est crucial comme notion, le consentement et le CHOIX des patient-es pour leur accompagnement : y en a qui auraient besoin d'un suivi psy, mais qui n'en veulent pas, y en a qui veulent de l'aide de leurs proches, ou des aménagements au travail, ou un casque anti-bruit, mais pas de psy. Et iels ont le droit.

L'autisme/etc c'est pas forcément une souffrance. Genre moi je souffre pas d'autisme, je souffre de mes douleurs physiques, de mon anxiété, de ma dépression. Je peux souffrir ponctuellement en lien avec mon autisme (si ma peau touche un truc en laine c'est pas doux ça me fait mal, si je me râpe un ongle ça me fait mal, si je suis en surcharge sensorielle le bruit de mes doigts sur ma peau peut me faire horriblement mal), mais mon autisme n'est pas une souffrance en soi, pas une souffrance permanente ni rien (et je suis pas un cas isolé pour ça). Par contre ma situation fait que je suis dépassé de tous côtés et mon autisme m'empêche de gérer cette situation (bien particulière, parce que toustes les autistes sont pas sdf ET en rupture familiale ET avec douleurs physiques et fatigue en permanence ET un wagon de trauma et leurs conséquences suite à des maltraitances multiples), bref y a plein de gens pour qui "savoir que j'ai un trouble, savoir quel trouble" ça va largement suffire, en tout cas pendant un temps (après on peut changer, y repenser, changer de situation etc).


Le but d'un accompagnement pro dans l'autisme c'est d'apprendre à vivre avec, apprendre à se connaître, pour pouvoir justement choisir les trucs qu'on veut continuer même s'ils font mal, et les trucs qu'on veut/peut se permettre d'éviter. Y a pas de "guérison" à l'autisme, donc s'il y a des souffrances liées, elles ne disparaîtront pas totalement : atténuées, évitées le plus souvent possible, mais pas effacées. Et on peut vouloir un diag sans souffrance particulière, juste ce sentiment de décalage mais d'où qu'y vient, juste "ah je peux pas faire ça/je fonctionne comme ça et je me rends compte que c'est pas la norme, je me demande si ça a un nom", ou juste "ah tiens j'me reconnais vachement dans les descriptions de l'autisme, j'me demande si je peux l'être, hm, curiosité, allons faire des recherches avant de demander à un-e pro".


Tout ce que je viens de dire s'applique à d'autres NA que l'autisme, et aussi pour des trucs physiques peu diag/longs à diag (comme le SED par exemple), mais c'est plus facile pour moi d'expliquer avec un exemple (sinon je pars sur des généralités et on en sort plus parce que je rebondis sur tout et n'importe quoi).


Le but de cet article n'est pas de dire que tout autodiag est forcément bon à prendre, mais surtout "arrêtez de cracher dessus systématiquement juste parce que c'est marqué autodiag". Bref, l'autodiag, c'est à prendre pour ce que c'est : l'énonciation personnelle des difficultés d'un-e humain-e.

Petit mot : si tu es capable, spécialiste ou pas, de diagnostiquer ou d'éliminer avec certitude un diag, à distance, juste en lisant une bio twitter ou avec un seul échange de quelques minutes avec une personne, je t'en supplie fais-toi connaître on a besoin de toi ça nous facilitera la tâche.

Oui cette remarque est ironique, pour souligner qu'il est absolument impossible d'effectuer un diagnostic de cette façon. Si tu veux faire des reproches à l'autodiag, sois cohérent-e.

Tu n'es pas la personne, tu n'es pas dans sa vie, tu ne sais pas ce qu'elle vit, tu ne sais même pas si c'est elle qui utilise l'ordi pour te parler sur twitter ou si c'est son aidant-e qui écrit parce que la personne ne peut pas le faire.


23 mai 2020.



DEUXIEME PARTIE : MON EXPERIENCE PERSONNELLE Ce qui suit est donc mon témoignage. A la base, je voulais pas le mettre, parce que le but n'était pas de parler de mon cas en particulier, je cherchais à faire plus vaste, mais ça semble quand même pertinent. Communiquer avec des exemples, c'est fort pratique, et parlant. (Pis y paraît que quand je m'y mets je sais écrire des trucs poignants, alors autant essayer.) Quand j'ai commencé à entendre parler d'autisme, je sais pas quel âge j'avais. Je me souviens que ma mère m'a dit, quand j'étais petit, un truc en mode "arrête de te balancer, on dirait que t'es autiste", du coup j'ai arrêté : ça avait l'air mal. Mais je sais pas quand j'ai appris des trucs sur l'autisme. Je sais pas quand j'ai vu une représentation pour la première fois : mon premier autiste en film, c'était quand ? Je me souviens d'un gamin, toujours le même, le p'tit mec blanc et brun qui parle pas, qui se balance, qui hurle quand on le touche et qui fait pleurer sa mère, voire toute sa famille. Je sais pas dans combien de films je l'ai vu, mais je sais qu'à chaque fois j'avais envie de le rencontrer, je sais pas pourquoi. Je me souviens de la salle d'attente d'un médecin, en 2014 ou 2015, et de cette revue qui parlait d'autisme. J'ai aucune idée de ce que ça disait, mais je sais que c'était pas la première fois que je souriais. Je pense que c'est à ce moment que j'ai commencé à me renseigner. En me disant "bon, c'est sûr, moi je le suis pas, mais comme j'ai des points communs, je pourrais aider des autistes, aller dans une assoc ou un truc comme ça, je pourrais faire du bien". Alors j'ai commencé à lire, sur internet, éplucher les pages wikipedia liées à l'autisme, puis d'autres ressources sur internet, des articles, des forums, je sais même plus, puis sur fb. Je sais plus trop quand ni comment des potes ont commencé à m'en parler, je sais juste quel pote m'en a parlé très souvent, lui-même autiste, première personne à me dire que j'avais des traits autistiques. Plus je lisais et écoutais, plus je me reconnaissais. Et pendant ce temps, je compensais en permanence. Je tentais de tenir le coup, de garder le cap malgré mes paradoxes. Plein de choses se bousculaient dans ma vie, je crois que dans un sens j'avais pas le temps de penser à l'autisme. En 2018, j'ai voulu faire des démarches pour devenir animateur spécialisé, pour accompagner des gosses autistes en colo ou en centre de loisirs en gros. Dans le même temps, j'ai commencé à envisager la possibilité d'être moi-même concerné par la question. Et si je me sentais proche des autistes parce que je l'étais ? Et si tout ça me touchait si fort parce que je l'étais ? Je pense que c'est là que mon témoignage commence vraiment. Parce que j'ai commencé à utiliser des expressions comme "mon côté autiste" pour parler d'un trait autistique que je manifestais sur l'instant. Parce qu'on m'a rétorqué des "arrête ton délire t'es pas autiste", alors que je disais pas l'être. Parce qu'on m'a balancé des "c'est dans ta tête" quand je tentais d'exprimer une incompréhension, une difficulté. Parce que c'était dans la continuité d'une vie passée à me faire traiter de fou, de taré, de dingue, de malade, de débile, d'idiot, de bouffon, et j'en passe. De fayot, parce que je savais pas que discuter avec les profs à la fin des cours pouvait être une technique pour avoir de meilleures notes, et d'intello aussi (oui, de manière péjorative, oui; j'dis pas que c'est oppressif, mais ça restait insultant), parce que je pouvais pas toujours cacher mes bonnes notes surtout quand les profs les donnaient à voix haute ou quand un-e élève réussissait à voir ma copie avant que je la cache, et parce qu'à chaque fois qu'on me demandait si je pensais avoir réussi un contrôle je répondais "non j'ai loupé je vais avoir une sale note" puis je me retrouvais avec un 16 et j'étais foutu d'être déçu parce que j'aurais pu mieux faire, en plus si un-e élève était fièr-e d'avoir un 10 ou un 12 parce que d'habitude iel tournait à 8, j'étais sincèrement content pour la personne, tout en pleurant intérieurement de n'avoir eu que 16, j'veux dire, avec le recul et ce que j'ai appris depuis, je comprends que les gens aient pu me croire hypocrite ou quoi, alors que j'étais sincère, juste sur le moment j'imaginais vraiment pas l'image que ça pouvait donner à des gens pas comme moi. Parce que j'ai été forcé de retourner habiter chez ma mère, et qu'elle m'entendait parler d'autisme. Parce qu'elle m'a dit que je pouvais pas l'être, elle serait au courant si je l'étais. Parce qu'à chaque fois que je lui mentionnais une difficulté, elle la niait, la minimisait, ou disait "oui bah moi aussi et pourtant je suis pas autiste". Parce qu'elle a un paquet de traits autistiques (je sais pas si elle est autiste) mais qu'elle passe sa vie à tout masquer, pour préserver les apparences. Parce que certaines phrases m'ont marqué quand j'étais gosse. Son insistance à ce que je la regarde, "écoute-moi quand je te parle" alors que j'écoutais avec mes oreilles, "c'est malpoli de pas regarder les gens dans les yeux". Ses remarques incessantes sur mon ton de voix jamais adapté. Son souci permanent pour les apparences, que vont penser les voisins, les frères et soeurs (témoins de jéhovah) à la salle, les gens dans la rue, sa famille. Parce que ma mère a passé sa vie à surcompenser, elle attendait de moi que je fasse de même. Que je sois "normal mais mieux que la moyenne". Je pense qu'elle avait totalement conscience du fait que j'étais "différent", dès le départ. Elle m'a vu apprendre à lire tout seul, avant mes cinq ans. Elle m'a vu être en décalage plein de fois. Mais reconnaître ma différence aurait signifié prendre conscience de la sienne, quelle qu'elle soit. Bref, début 2019 j'ai pris des renseignements pour savoir comment me faire diagnostiquer. Les CRA étaient ma seule option, n'ayant aucune ressource financière. J'ai lu sur le site de ma région qu'il fallait avoir un courrier d'un-e psy pour accéder à un CRA, donc j'ai insisté pour que ma mère me prenne un rdv chez un-e psy. Aucun créneau dispo avant six mois dans mon département, il a fallu chercher dans la grande ville du département d'à côté, minimum une heure de route, sans compter la galère de s'orienter et se garer dans une grande ville (surtout si ma mère conduit, elle a carrément peur de la ville et est capable de se perdre en voiture dans une ville de 20 000 habitant-es, alors une vraie grande ville j'te dis pas). Le prix de l'essence, la dépense en énergie, le temps passé à chercher un-e psy, le stress de téléphoner (j'en suis incapable, ma mère le fait mais ça lui coûte)... L'angoisse pour moi de rencontrer un-e psy. La peur qu'on ne me prenne pas au sérieux, qu'on ne croie pas à mes difficultés. Sachant que ça faisait déjà plusieurs mois que je ne mettais plus le pied dehors sauf obligation (quelques minutes une fois par semaine, donc), que j'ai peur de tout ce qui touche au milieu médical, et encore plus niveau psy, et que je suis très doué pour m'emmêler les pinceaux et me compliquer la vie surtout quand j'essaie d'expliquer les choses simplement. J'ai eu deux rdv avec une psy. Au deuxième, elle a été très irrespectueuse (j'ai dit qu'un mot me faisait très mal quand les gens l'utilisaient à mon sujet, elle l'a répété à de nombreuses reprises sans jamais s'en excuser ni même sembler se rendre compte qu'elle le disait et me faisait mal), mais elle a fini par accepter de me faire un courrier, adressé au CRA de région. J'ai décidé de ne pas retourner voir cette psy, bien qu'elle m'ait forcé la main pour prendre un nouveau rdv. Et, quelques semaines plus tard, comme ma mère ne voulait plus de moi chez elle, j'ai dû déménager. Changer de région, me réfugier chez des ami-es. Bien sûr, je ne pouvais plus aller au CRA de mon ancienne région, d'autant que le courrier était arrivé chez ma mère. Rebelote : un-e ami-e m'a pris un rdv, m'y a emmené, et le psy m'a fait un courrier pour le CRA de ma nouvelle région. Mon ami-e a fait les démarches pour que j'aie un rdv au CRA, m'y a accompagné. Le professionnel que j'ai rencontré m'a informé que ce CRA s'occupait surtout des personnes autistes non-verbales, ce qui est loin d'être mon cas, et a ajouté que selon lui je devrais me concentrer sur le diagnostic et le soin d'un TDA(H) et d'une anxiété sociale voire un TAG. Quelques mois plus tard, la coloc qui m'accueillait a déménagé en campagne, j'ai donc changé de ville et de région à nouveau. Je n'avais clairement plus ni l'énergie ni la motivation pour faire des démarches. Les ami-es que je rejoignais cherchaient à se faire diagnostiquer pour l'autisme elleux aussi, et m'ont donc ajouté à la liste des rdv dans un... je sais pas, un cabinet, un centre, bref un endroit où nous avons rencontré une neuropsychiatre et je sais plus qui d'autres. Dès le premier rdv, il a été manifeste pour les professionnel-les que j'étais sur le spectre autistique, ainsi que mes ami-es, nous avons donc eu un nouveau rdv pour la suite de l'évaluation. Oh, environ quatre heures de route aller, quatre heures de route retour, à quatre dans une voiture qui vibrait très fort (j'ai dû mettre mon casque antibruit), sachant que chaque position me fait mal et que je dois en changer sans cesse à cause de mes douleurs (oh, pareil pour les autres, sauf que j'étais ni dans leur tête ni dans leur corps donc je peux pas parler pour elleux), bref un calvaire. A la fin de mon premier entretien, la neuropsy avait bien noté mon état, et retenu que les pensées suicidaires m'obsédaient, donc elle a sorti une phrase en mode "on va tenter de faire vite le diag pour éviter que tu meures" après m'avoir dit qu'elle allait faire en sorte que j'obtienne l'AAH pour pouvoir avoir un appartement à moi. On a finalisé mon diag le 12 février, le dossier de demande d'AAH étant très long et compliqué on a galéré à le remplir, y a eu le confinement, on a fini par réussir à l'envoyer en plein confinement, le 18 mai j'ai reçu un courrier me disant qu'il manquait des justificatifs de domicile et d'identité, on a envoyé facture attestation d'hébergement photocopie de la CNI de la personne ayant fait l'attest et de ma CNI, par mail, au bout de trois semaines y avait toujours pas de réponse ni d'accusé de réception. Donc on est allés à la MDPH au retour de mon premier rdv psy (j'étais censé en avoir un la première semaine du confinement mais du coup ç'a été annulé, bref) pour déposer une version papier, selon internet c'était fermé mais vu qu'on était déjà en route on y est allés, c'était ouvert, bref. Ce jour-là j'ai dû sortir (chose que je ne fais pas), j'ai tenté de mettre des chaussures (mes chaussettes-chaussures) mais il faisait trop chaud j'ai renoncé je suis sorti pieds nus ça allait mieux, j'ai frôlé le malaise toute la journée après une nuit d'angoisse et un réveil en crise. On a dû prendre le métro alors que déjà en temps normal je supporte pas, il a fallu mettre un masque dans le métro alors que je croyais que ce serait seulement pendant le rdv donc j'avais encore plus chaud et clairement un masque n'est pas compatible avec mes hypersensibilités (ça m'empêche de respirer, m'envoie de l'air dans les yeux ce qui fait mal, ça accroche mes oreilles, ça donne chaud...). Bref on a traversé toute la ville (30mn de marche, 30mn de métro, en gros). Donc, au retour s'arrêter à la MDPH et à la poste pour savoir s'il me restait de l'argent. Manque de pot mon père a manifestement encore arrêté de m'envoyer de quoi manger pour le mois, depuis février apparemment, cette fois je pourrai pas sortir le joker de "ma mère va faire en sorte qu'il recommence" vu que j'ai plus aucun contact avec elle non plus. Bref, je suis pauvre, sans revenus, handicapé, SDF, autiste, angoissé, dépressif, bourré de douleurs chroniques, suicidaire, incapable de sortir ou de faire quoi que ce soit seul, et en attente d'obtention de l'AAH-autisme pour tenter de survivre avant de pouvoir apprendre à vivre avec mon autisme et le reste. Bref (encore), le diag c'est galère, et si j'avais pas eu des potes capables de tout faire à ma place, je pense que je serais mort. J'ai rencontré de plus en plus d'autistes ces deux dernières années, et plusieurs de mes connaissances ont appris leur autisme. Moi, je navigue entre doutes, syndrome de l'imposteur, certitudes, épuisement, difficultés multiples. Oui, encore aujourd'hui.


15 juin 2020.


PS : je répète beaucoup "autodiag" dans cet article, je sais que ça peut paraître lourd. Mais j'ai aussi besoin de faire ça pour habituer les gens à ce mot, tout simplement. Comme toujours, je suis ouvert à la critique et apprécie les retours, j'ai envie de progresser, tant qu'on me parle de manière bienveillante.

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